Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du Romany Rye. En attendant qu’il recommence sa vie d’aventures, il reçoit d’assez étranges visites, et qui pourraient elles-mêmes passer à bon droit pour des aventures. La première est celle de l’homme vêtu de noir, the man in black, espèce de courtier en matière religieuse, qui fait pour le compte de l’église romaine ce que M. Borrow devait faire lui-même plus tard pour le compte de l’église anglicane. Ce type de propagandiste est d’une excentricité très compliquée. L’homme noir est de bonne composition, joyeux vivant, sceptique comme Voltaire, athée comme un Allemand moderne, pratique comme un banquier juif et politique comme un jésuite. Il a autant de manières de convertir son prochain que Panurge avait de moyens de manger son blé en herbe. Pour les simples et les crédules, il a le culte des images. — Vous ne savez pas, dit-il à Lavengro, combien en certains momens l’âme aspire vers une image corporelle de ce qu’elle adore. Vous autres hérétiques, vous niez un des plus grands entraînemens de l’âme. Idolâtrie, dites-vous ? Eh ! mon ami, entre nous, l’homme est toujours un peu païen. — Aux cœurs endurcis et aux âmes vénales, l’homme noir offre les tentations de l’argent. Convertissez-vous pour de l’argent, a-t-il dit une fois à Lavengro. — Aux lettrés et aux esprits cultivés, il fait valoir l’organisation politique de l’église romaine et la nécessité d’une religion. Nous pouvons entre nous avouer ce fait de la nécessité d’une religion, n’est-il pas vrai ? Il est universellement admis. Pour ma part, je fais bon marché de nos dogmes ; mais quoi ! l’humanité est pour les trois quarts composée d’imbéciles ; vouloir les guérir de leur folie serait peine perdue, il est bien plus simple de l’exploiter. J’espère qu’érudit comme vous l’êtes, Vous reconnaissez la vérité de cette opinion. Eh bien ! je vous assure que le meilleur mode d’exploitation a été trouvé par nous… Il ne tient qu’à vous d’en profiter. Eh ! eh ! vos talens nous feraient le plus grand honneur ; voyons, enrôlez-vous dans notre milice !

— Et cette dame que voici, dit Lavengro en montrant Isopel, est-ce que vous voulez aussi l’enrôler ?

— Certainement, et nous serions trop heureux de l’avoir parmi nous, soit qu’elle vous accompagne ou qu’elle vienne seule, répond l’homme noir en saluant avec courtoisie. Nul doute qu’avec sa figure et sa prestance elle ne fit une remarquable dame abbesse, spécialement en Italie, où les dames de cette stature sont rares (Isopel est une géante). Oui, elle obtiendrait beaucoup de succès ; nous lui ferions facilement Une grande réputation de sainteté, et après sa mort, sœur Marie-Thérèse, — c’est le nom que je lui conseillerais de prendre, — serait bien et dûment béatifiée et canonisée.

— Eh bien ! Isopel, que dites-vous des propositions de monsieur ?