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françaises qui n’ont pas été faites pour lui ! Les signes d’affaissement sont tels en tout pays, que nous devons être modestes dans les jugemens que nous portons sur autrui. Et les peuples jeunes ne se portent pas mieux. Que le bon Emerson tourne ses regards du côté de l’Amérique, et nous dise un peu ce que produit ce pays, fier de ses immenses prairies et de ses forêts vierges, c’est-à-dire de produits et de richesses qui paraient le sol américain longtemps avant que l’homme y eût fait son apparition. L’Amérique est intéressante comme promesse, comme espérance ; mais quel grand intérêt direct, actuel, immédiat, a-t-elle pour nous ? Que possède-t-elle jusqu’à présent que nous ne lui ayons envoyé ? et dans lequel de ses produits ne reconnaissons-nous pas notre image ? L’activité intellectuelle, loin de s’accroître, y baisse sensiblement, et l’année qui vient de s’écouler a été d’une stérilité désespérante. Pas un mot humain n’est sorti de cette population de vingt-six millions d’hommes, car nous ne donnons pas le nom d’humain à des pamphlets injurieux ou à des vociférations électorales. Le désert lui-même serait plus fécond. Encore une fois, soyons tous très modestes, et n’accusons pas notre voisin de stérilité, lorsqu’il pourrait sans trop de peine nous donner les preuves de notre impuissance.

Ce qui me frappe au contraire au milieu de cette lassitude trop générale, et qui ne sera, il faut le croire, que passagère, c’est la vitalité que continue de montrer la littérature anglaise. Les chefs-d’œuvre sont rares en Angleterre comme partout ; mais nous ne cessons de nous étonner du nombre de livres curieux, originaux, instructifs, lisibles surtout, qu’elle produit sans relâche. Surveiller le mouvement de cette littérature, c’est en vérité une tâche qui, si elle est lourde, peut être acceptée et portée avec plaisir, ce que nous n’oserions dire de toute autre littérature. Il est rare que dans les plus mauvais des livres anglais il n’y ait pas quelque chose qui puisse éveiller l’imagination, exciter la sympathie, ou jeter une lumière inattendue sur certains côtés de la vie humaine, — un atome d’originalité, un rayon de poésie, un don d’observation imparfaitement exercé souvent, mais réel et vigoureux. J’ouvre un roman anglais : il est chétif comme œuvre d’art, je le veux ; il ne présente aucun tableau général de l’existence humaine. Cependant il m’ouvre la porte d’un petit monde particulier, bien restreint sans doute, mais réel et possédant cette qualité que rien ne remplace, la vie. Il ne tenait qu’à l’auteur de lâcher la bride à son imagination et de m’ennuyer d’une série d’aventures improbables ; il ne tenait qu’à lui de se croire un Cervantes, et de s’attribuer le droit de mettre au monde, sous prétexte d’invention poétique et de grand art, quelque conception mal venue, à la fois outrecuidante et difforme. Il a été