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activité capable d’accélérer et de diriger le mouvement scientifique qui commence à naître aux États-Unis. Le professeur de Cambridge a conservé toute l’ardeur de l’ancien professeur de Neuchâtel : il a déjà parcouru en tout sens le vaste et nouveau théâtre qui lui fournit chaque jour l’occasion de multiplier ses observations ; il a visité les bords du Lac-Supérieur, les prairies de l’ouest, les récifs de la Floride, étudié la faune du continent tout entier. Ainsi se continue dignement une des carrières scientifiques les mieux remplies déjà qu’on puisse citer dans les deux mondes.

Dans l’ensemble d’études si considérables dont nous avons voulu indiquer ici les résultats principaux, il a été aisé de reconnaître l’action vigoureuse d’un esprit observateur, armé d’une puissante faculté d’analyse, en même temps que porté vers les théories générales et les systèmes. Le caractère le plus saillant peut-être des travaux de M. Agassiz est une tendance persistante à rapprocher des sciences qui habituellement demeurent séparées. C’est ainsi qu’il a fait servir l’étude physique des glaciers et des phénomènes mécaniques dont ils sont les agens aux questions purement géologiques.qui se rattachent à l’origine du terrain erratique ; mais c’est surtout dans le domaine des sciences qui ont pour objet l’étude des êtres organisés qu’il a opéré les rapprochemens les plus heureux, en fécondant les découvertes paléontologiques par celles de la zoologie ordinaire. Ses premières observations sur nos poissons d’eau douce lui vinrent en aide quand il entreprit d’écrire l’Histoire des poissons fossiles ; ses travaux sur les échinodermes et les mollusques lui servirent de guide dans le dédale des faunes anciennes ; en observant les métamorphoses des animaux inférieurs, il pénétra les étranges mystères de la vie, surprise en quelque sorte à ses premiers débuts. C’est par ces grands travaux qu’il s’est préparé à remanier, suivant des principes nouveaux, les méthodes de la classification et à remuer les problèmes les plus élevés de la philosophie naturelle. Il y a sans doute des points hasardés dans les conceptions de M. Agassiz, mais il est incontestable qu’elles sont appelées à exercer une heureuse influence sur la science moderne. En découvrant la coïncidence entre le développement embryonique des êtres et la gradation qui s’est opérée d’âge en âge dans les formes organiques, M. Agassiz a déjà éclairé d’une lumière inattendue l’histoire de la création, et trouvé, pour ainsi dire, la clé de cette langue dont les restes fossiles sont les caractères mystérieux. En appliquant aujourd’hui à la classification naturelle les considérations tirées de l’embryogénie, il fournit à l’anatomie comparée un auxiliaire précieux, et ouvre une voie nouvelle aux investigations des naturalistes.


AUGUSTE LAUGEL.