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trilobites semblent être, dans une forme gigantesque, les images prophétiques des divers types des crustacés actuels à l’état d’embryon. » Cette opinion, il faut le dire, n’est point acceptée par M. Barrande, dont les recherches sur le terrain silurien de la Bohême ont ajouté de si précieux matériaux à l’histoire de ces animaux, et qui a été assez heureux pour en trouver des embryons et pour tracer la série entière de leur développement.

On le voit, quelques-uns des aperçus du professeur de Cambridge ne doivent être acceptés qu’avec une prudente réserve. Ce n’est qu’avec circonspection qu’on peut appliquer l’étude des métamorphoses à la classification, car s’il est permis d’une manière générale de regarder un animal comme plus parfait pendant l’âge mûr, il faut remarquer néanmoins qu’au point de vue de certaine organes particuliers, cet animal à l’état embryogénique peut paraître supérieur. Bien des obscurités recouvrent donc encore les problèmes abordés avec une si grande hardiesse. Il est dangereux de fonder hâtivement des théories sur les lois du développement des êtres, parce que la découverte fortuite de quelques restes fossiles dans des couches où ils étaient jusque-là demeurés inconnus suffit quelquefois à les renverser. D’ailleurs, si la comparaison entre la succession chronologique des êtres et le développement des embryons actuels était absolument démontrée, il nous semble que les lois générales que M. Agassiz en a tirées sont beaucoup moins en harmonie avec la théorie des créations répétées, dont il s’est constitué le défenseur, qu’avec celle de la filiation des espèces animales telle qu’elle ressort de la doctrine philosophique de l’illustre Geoffroy Saint-Hilaire. Ceux qui ne voient qu’anarchie dans la multitude des êtres qui ont habité le globe, ceux qui s’appliquent à prouver qu’on ne saurait trouver aucun indice d’une variation ordonnée et régulière dans le développement des formes organiques, sont forcés d’admettre que la population de la terre a été détruite et renouvelée entièrement à diverses reprises ; mais il est singulier de voir cette croyance partagée par M. Agassiz, qui regarde en quelque sorte l’histoire du règne animal comme une longue embryogénie. Si les représentans des divers types zoologiques se sont remplacés les uns les autres dans l’ordre même où nous voyons se succéder les métamorphoses des êtres actuels, une pareille concordance n’est-elle pas faite pour nous amener assez naturellement à croire que la nature s’est exercée, pendant l’incalculable série des âges, à produire les phénomènes qu’elle renouvelle aujourd’hui en un temps très court, et qu’elle nous laisse lire le secret de son œuvre lente dans le développement actuel de chaque individu ? Les recherches de M. Élie de Beaumont ont donné la preuve que le nombre des révolutions auxquelles il faut attribuer le relief des continens est beaucoup plus considérable qu’on ne l’avait autrefois soupçonné.