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fait qui ne laisse pas d’avoir son intérêt comme indice du travail qui s’accomplit dans les contrées du nord de l’Europe : c’est une réunion ecclésiastique scandinave. Cette réunion a eu lieu spontanément, sur la simple invitation de quelques pasteurs évangéliques luthériens ; elle comptait des représentans du Danemark, de la Suède et de la Norvège, les uns laïques, les autres ecclésiastiques. Le nombre des inscrits ou des assistans était de quatre cent cinquante. L’assemblée s’est tenue le matin et le soir dans la grande salle de l’université de Copenhague. Il y a eu des discours, des discussions, sérieuses et instructives sur tout ce qui concerne l’église, l’organisation et la législation ecclésiastique, la divergence des opinions religieuses dans les trois pays. La question de la liberté du culte a été abordée. Le résultat le plus clair de cette réunion, où a régné un grand esprit de cordialité, c’est qu’un premier pas a été fait ; on s’est rapproché, on s’est éclairé mutuellement, et on est convenu de se réunir de nouveau dans deux ans à Lund, en Suède. Dans les discours qui ont été prononcés par des Danois, des Norvégiens ou des Suédois, chacun a parlé sa langue, et on s’est compris sans aucune difficulté, ce qui prouve assez qu’il n’y a là au fond qu’une seule et même nationalité Scandinave. La politique, on le comprend, a été bannie de ces discussions. On s’est tenu exclusivement sur le terrain des questions religieuses. La politique, à vrai dire, était dans ce fait même d’une assemblée libre composée d’hommes appartenant aux trois pays. C’était une sorte de manifestation nouvelle, quoique inavouée, d’un scandinavisme moral, religieux, national, intellectuel, qui est bien loin, à la vérité, d’être encore le scandinavisme diplomatique et politique.

La grande question est de franchir la distance qui sépare ces deux scandinavismes. Il n’est point douteux que l’idée de l’union politique et civile des trois royaumes scandinaves a fait d’immenses progrès ; elle est entrée dans les esprits, elle est devenue partout un sujet de discussion ; on s’est familiarisé avec elle. On peut même dire que l’avenir est là selon toute apparence ; mais quand cet avenir se réalisera-t-il ? La difficulté est d’autant plus grande que si l’idée scandinave a fait de très réels progrès, si elle séduit les imaginations, elle éveille en même temps des impressions d’une nature différente dans les trois pays. En Danemark, on craint une certaine absorption de l’indépendance nationale, un morcellement du pays, soit au profit de la Suède, qui est plus grande et d’un poids politique plus considérable, soit au profit de l’Allemagne, qui saisirait l’occasion de s’approprier définitivement les duchés. En Norvège, les souvenirs du gouvernement absolu des rois de Danemark ne sont pas entièrement effacés et entretiennent une certaine méfiance. Les Norvégiens tiennent à la situation qui leur a été faite depuis 1814, et ce n’est encore que le petit nombre qui s’élève jusqu’à cette idée d’une parité nationale et politique complète entre les trois pays. En Suède, où le scandinavisme a naturellement plus de partisans, bien des esprits craignent que l’union ne les expose à des rapports trop immédiats avec l’Allemagne et à un voisinage fort peu commode. Ces impressions, qui existent indubitablement, surtout en Danemark, peuvent être un obstacle à la réalisation prochaine d’une pensée qui flotte dans tous les esprits. Cela veut dire, à tout prendre, que le scandinavisme n’est point encore à la