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moins aisés de la Grande-Bretagne, qui se contenteraient d’un liquide moins exquis, de celui que je viens de citer par exemple, un pareil droit est exorbitant, insoutenable, oppressif.

Cependant telle est l’impulsion que la consommation a reçue de la prospérité publique, qu’on tire des douanes le même revenu à peu près qu’avant la réforme, 570 millions de francs environ ; mais les dix-neuf vingtièmes de ce revenu sont produits par des droits dont le caractère est essentiellement fiscal. Ainsi en 1855 129 millions ont été rendus par le droit sur les sucres, 134 par le thé, 123 par les tabacs, 20 par le café, le cacao et les épices, 46 millions et demi par les vins, et près de 65 par le rhum, l’eau-de-vie et les spiritueux étrangers, qui sont imposés d’une façon correspondante aux droits perçus sur les spiritueux indigènes. Les fruits secs, tels que les raisins, les figues, les amandes, les oranges, articles que le soleil de la Grande-Bretagne ne peut mûrir, ont donné 7,800,000 fr. Il faut y ajouter encore les droits sur le houblon et le papier, qui représentent à peu près les taxes établies à l’intérieur du pays sur ces deux articles à titre d’accise ; c’est une somme de 1,500,000 fr. Ce n’est pas tout. Le bois de construction a donné 12,360,000 fr. ; mais ce n’est point à titre de protection que ce droit a été établi et qu’il est maintenu. On sait que l’Angleterre n’a plus de forêts, et qu’elle tire à peu près en totalité du dehors les bois dont elle se sert. Le droit de douane sur les bois est tout fiscal ; il se rattachait au système qui frappait de droits d’accise les principaux matériaux destinés aux constructions : la brique, qu’on emploie généralement en Angleterre au lieu de la pierre, et le verre à vitre. Les droits d’accise sur la brique et sur le verre ont été abolis depuis la réforme douanière ; quant au droit de douane sur le bois, il a subi une très forte réduction. On en a successivement rabattu, depuis 1842, 37,520,000 fr. Le droit sur les céréales, qui ne semble qu’un droit de balance, a cependant produit, par l’effet d’une importation énorme en 1855, 8,200,000 fr. Le droit sur les soieries est monté à 6,490,000 fr. Il n’est plus conservé que comme impôt sur un article de luxe, car, comme nous venons de le voir, il excite les protestations des producteurs eux-mêmes. Nous voici donc à 553 millions sur 570, sans avoir rencontré un droit qui soit positivement protecteur. Nous croyons donc pouvoir nous dispenser d’examiner le reste.

Tel qu’il est, le tarif anglais n’est certes pas la perfection absolue ; mais ce n’est pas le dernier mot de la trésorerie anglaise, et la perfection absolue n’est pas de ce monde. Il offre des anomalies, des contradictions, des erreurs[1] ; mais c’est, sans comparaison aucune,

  1. Ainsi on ne voit pas pourquoi, ayant affranchi la plupart des acides utiles aux arts industriels, le législateur anglais a laissé un droit de 20 pour 100 sur l’acide sulfurique, le plus employé de tous. Le tarif français le frappe d’un droit quinze fois plus fort, c’est-à-dire de plus de 300 pour 100 ; mais ce n’est pas un argument suffisant, le tarif français étant l’exagération même. On ne s’explique pas non plus pour quelle raison la tôle de fer est protégée par un droit de 6 fr. 15 c. par 100 kilogr., quand la tréfilerie, qui est d’une fabrication plus délicate, a cessé de l’être et ne s’en porte que mieux.