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en dépensant pour cet objet 500 millions, elle n’a eu qu’un but, de nous pousser artificieusement à l’adoption d’une politique compromettante pour les trois îlots où nous faisons du sucre. De même, si elle a jeté à la mer sans en rien garder, comme un impédiment incommode, le célèbre acte de navigation de Cromwell, qu’elle représentait, il y a quinze ans encore, comme son palladium, c’est une machination pour nous induire en erreur dans la conduite à suivre à l’égard, de notre pavillon. Ces assertions, s’écriera le lecteur, sont tout-à-fait déraisonnables : c’est bien ce que je pense ; mais, il faut le dire, toute allégation de ce genre trouve un public crédule qui l’accueille comme parole d’Évangile. C’est par cette même raison que le public français répudie en ce moment la politique de la liberté commerciale, qu’on ferait mieux peut-être d’appeler du nom que lui ont donné les tories anglais après leur défaite et leur conversion, celui de l’intervention de plus en plus libre de la concurrence étrangère. Cette politique a été représentée comme une invention anglaise, une trame habilement ourdie par ces astucieux insulaires pour la ruine de nos industries. Ne dites pas à nos manufacturiers et à leurs ouvriers abusés que si l’Angleterre a soumis à la rude épreuve de la concurrence étrangère, sans aucune protection, ses industries les plus considérables, celles même qui lui sont le plus chères, l’agriculture et la marine, c’est pour les obliger à faire des progrès. On vous rira au nez, et l’on vous dénoncera comme un niais et un mauvais citoyen. C’est un axiome enraciné dans le préjugé vulgaire que l’Angleterre en cela n’a eu qu’un mobile : elle a voulu nous tendre un piège et nous attirer, sirène inexorable, vers des écueils où notre perte serait assurée.

Voilà pour le préjugé. Quant à l’esprit de parti, son action ici n’est pas moins manifeste. Un parti puissant s’est formé et a couvert le pays tout entier d’un réseau aux mailles serrées. Son but, qu’il appelle la défense du travail national, est la perpétuité de la prohibition : ses chefs l’avouent, et la preuve que c’est bien la volonté du parti est écrite dans tous ses actes. Dès qu’on parle de lever les prohibitions, il se lève comme un seul homme pour représenter qu’on veut ruiner le pays. Ce parti déploie une activité sans égale et une habileté peu commune. Il s’est proposé de s’emparer des chambres de commerce, d’en exclure non-seulement les adversaires, mais les amis douteux, ainsi qu’on peut le lire dans la circulaire du comité du 7 mars 1856, et il y a réussi. De cette manière, il semble avoir pour lui l’opinion de l’industrie tout entière. Arrogant envers le gouvernement de la France quand il le croit faible, en 1846, dans des lettres qu’il rend publiques, il le fait menacer littéralement par ses chefs d’armer ses ennemis ; plus réservé dans la forme quand il