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Elle avait faim. — Derrière une vigne fleurie
Brillait dans le lointain un toit de métairie.
 — Prenons par là, dit-elle. — Et nous voilà partis
À travers les halliers, les fossés, les pâtis.
Les portes de la grange étaient au large ouvertes,
Des fourches à la main, les métayers alertes
Rangeaient dans le fenil les foins tout parfumés,
Et deux bœufs ruminaient dans l’étable enfermés.
Un figuier ombrageait une étroite masure :
C’est là qu’on nous mena, dans une salle obscure
Où, tandis qu’on cherchait du pain bis et du lait,
Nous demeurâmes seuls. Par un trou du volet,
Un rayon de soleil, rare et faible lumière,
Se glissait et dorait l’humble pavé de pierre.
La muraille était nue, et, sur les ais pourris,
Des brins d’herbe poussaient, d’humidité nourris.
Aux poutres du plancher de grises araignées
Avaient tissé longtemps leurs toiles épargnées.
 — Triste lieu ! dit Aimée, et pourtant, croyez-moi,
J’y vivrais bien heureuse avec vous… avec toi ! —
Ses yeux bruns souriaient ; je pris ses mains tremblantes,
Je couvris de baisers ces yeux, ces mains charmantes,
Ce front pâle et baissé ; je sentis dans mes bras
Battre son pauvre cœur… Soudain un bruit de pas
Suspendit les baisers sur nos lèvres surprises ;
C’était la métayère apportant des cerises
Dans leurs feuillages verts, du pain cuit le matin
Et du lait qui fleurait la lavande et le thym.


V – L’ADIEU


Le mal fond sur nous comme une avalanche ;
Au gré du hasard s’en vont nos bonheurs,
Comme au premier vent cette neige blanche
Qui s’envole en mai des pommiers en fleurs.

Dans le chemin creux mouillé de rosée,
Nous nous promenions, seuls, silencieux ;
Je sentis ma main par sa main pressée,
Et je vis des pleurs rouler dans ses yeux.

Le vent gémissait parmi les bruyères,
Quelques gouttes d’eau tombaient du ciel lourd,
L’onde sanglotait sur son lit de pierres,
L’orage grondait avec un bruit sourd.