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figures excentriques, qui tranchent violemment sur tout ce qui les entoure, ne font que mieux ressortir ce qu’il y avait de raideur méthodique, de froideur compassée et d’odieuse monotonie dans cette vieille société écossaise au sein de laquelle les moindres détails de la vie étaient réglés avec une inexorable rigueur. Point de musique, hormis à la salle Sainte-Cécile, où personne n’eût osé changer la place que lui assignaient l’habitude et son rang dans le monde ; point de danse, hormis dans les salons de George-Square, seuls patronnés par le beau monde, et encore à quel esclavage étaient soumis danseurs et danseuses !


« Des douairières à martinet et de vénérables beaux remplissaient les fonctions de maîtres des cérémonies, et se chargeaient de tous les arrangemens préliminaires. Deux personnes ne pouvaient danser ensemble sans être munies d’une carte qui déterminait la place précise qu’elles devaient occuper dans tel ou tel quadrille ; faute de cette carte, le danseur ou la danseuse était traité comme un intrus et exclu de la danse. Si la carte portait les chiffres 3 et 4 cela voulait dire que le porteur devait figurer dans le troisième quadrille, à la quatrième place, et, s’il était trouvé ailleurs, il était renvoyé à son poste ou mis en interdit. La carte de sa danseuse devait correspondre à la sienne : malheur à la pauvre jeune fille qui, avec une carte marquée 3 et 4, était trouvée à côté d’un jeune homme numéroté 9 et 2 ! C’était là de la coquetterie sans autorisation préalable ; ce scandale donnait lieu à de fâcheux commentaires, et le régulateur du quadrille ne manquait pas d’en faire l’objet d’un rapport à la mère de la coupable. Les personnes qui désiraient s’assurer à elles-mêmes ou assurer à leurs enfans la possibilité de danser avaient soin de se munir avant le jour du bal de cartes et de numéros d’ordre : cela rendait nécessaire la nomination d’un directeur des contredanses, et l’élection d’un pape donne lieu à moins d’intrigues. On était le maître de courir les chances du hasard ; mais, pour être obtenue dans la salle même, la permission écrite n’en était pas moins rigoureusement exigée, et un complot de deux jeunes gens pour danser ensemble sans l’autorisation officielle était un attentat dont la pensée seule faisait frémir. On prenait du thé dans les pièces qui faisaient suite à la salle de danse, et un cavalier peu empressé pouvait seul négliger d’offrir une orange à sa danseuse à la fin de chaque contredanse ; mais les oranges, le thé, comme tout le reste, étaient l’objet des règles les plus minutieuses et les plus rigides. »


Les dîners n’étaient pas soumis à des lois moins sévères. Personne ne se serait permis d’offrir le bras à une dame pour la conduire à table : cela eût excité autant d’horreur que la valse, dont le nom n’était jamais prononcé sans que les gentlemen bien élevés, sans que les mères et les tantes se répandissent en déclamations contre les mœurs du continent. Les dames passaient l’une après l’autre dans la salle à manger, en suivant l’ordre des préséances, et elles allaient se placer debout derrière leur chaise, attendant le voisin que le