Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/884

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’accuser d’hypocondrie, de le montrer sous le joug d’une idée fixe : la galerie de portraits était écrasante, et surtout le catalogue, dont la destruction seule était de nature à témoigner contre M. T…

Je résolus d’aller lui faire une seconde visite, dans laquelle il entrait autant de sympathie que de curiosité. Le lendemain le domestique, m’ayant reconnu pour m’avoir ouvert la veille, m’introduisit sans m’annoncer dans la galerie de tableaux, où je trouvai M. T… assis dans un fauteuil, livré à ses réflexions. — Si j’étais médecin, pensais-je, je commencerais par enlever le malheureux à ces images mélancoliques, trop de fois répétées, qui ne peuvent qu’apporter du trouble dans ses idées. — Je me suis permis, monsieur, lui dis-je, de venir visiter encore une fois votre galerie avant de partir : j’ai été tellement frappé par quelques-uns de vos tableaux, que j’ai désiré les revoir, Veuillez excuser mon indiscrétion.

Un pâle sourire passa sur les lèvres de l’amateur, qui me tendit la main. Après avoir jeté un coup d’œil sur l’ensemble de la galerie, je m’arrêtai devant le portrait des dames espagnoles regardant de leur balcon M. T… passer dans les rues de Madrid. — J’ai lu, dis-je, une petite notice sur ce tableau dans votre catalogue.

— Le catalogue ! s’écria-t-il, où avez-vous trouvé le catalogue ?

J’avais causé une vive émotion au pauvre homme, mais j’étais décidé à entrer en lui comme une vrille, et je ne m’arrêtai pas plus qu’un chirurgien après la première incision. — Cette notice est fort intéressante, monsieur, et je vous en fais mon compliment ; elle m’a servi à pénétrer plus avant dans le sens intime de votre collection.

— Qui vous a fait tenir ce catalogue ? dit M. T… en se levant tout à coup ; là, ne me le cachez pas, monsieur, j’ai beaucoup d’ennemis, beaucoup, beaucoup.

— Je les connais, on m’a tout appris ; mais ne croyez pas que la personne qui m’a communiqué cette brochure vous veuille du mal : une simple curiosité de ma part a amené un habitué du cercle, un homme aimable, à me faire lire le texte explicatif que vous avez rédigé d’après votre galerie.

— Quel est cet homme ? comment est-il, je vous prie ?

Quand j’eus décrit le vieillard et parlé de sa collection de porcelaines, M. T… respira plus librement. — Je sais qui vous voulez dire, reprit-il, et les difficultés ne viendront pas de ce côté, mais j’espérais qu’il ne restait plus trace de ma brochure.

— Je ne la trouve pas si dangereuse que vous le croyez, monsieur ; chassez donc ces inquiétudes qui sont trop nettement accusées sur votre front.

— Vous a-t-on donné quelques détails sur la lutte qui me sépare de ma famille ?