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LES SENSATIONS
DE JOSQUIN

HISTOIRE DE M. T...



Il est écrit que je ne rencontrerai jamais que des êtres singuliers, vivant en dehors des habitudes reçues, choquant les gens droits par des habitudes bizarres, choqués eux-mêmes de la rectitude d’action desdites personnes dans la société. Devrais-je me plaindre de ces rencontres ? Cependant j’en subis une influence défavorable, et je me demande souvent pourquoi la destinée me pousse sur le chemin de ces individus.

Le dernier en date qui a pris une chambre meublée dans mon cerveau était bien le locataire le plus tyrannique qui se pût voir. Aussitôt entré, il n’y a plus eu de place que pour lui. Cet importun faisait que je ne pouvais m’occuper exclusivement que de ses grimaces ; sa personnalité était tellement accentuée, que tout se rapportait à lui. Par ses angles vifs, il froissait tous ses voisins, mes propres pensées, qui, en présence d’un nouveau locataire si incommode, ont fui, Dieu sait où.

À tout instant, mon homme raisonnait, parlait, discutait, et semblait dire à mes oreilles : « Écoutez-moi. » Puis il se livrait à mille poses allanguies, marchait, s’asseyait, se relevait et disait à mes yeux : « Regardez-moi. » Cette obsession dura si longtemps que, pour me débarrasser de ce tyrannique locataire, je lui ai donné congé, c’est-à-dire qu’abandonnant travaux, plaisirs,