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du comté enregistrerait quelque bon et bruyant scandale. C’était à quoi il fallait aviser.

Un vieux puritain, avare et jaloux, possesseur d’une caisse bien garnie et d’une appétissante moitié, était devenu, sans se douter du fait, le point de mire des deux mauvais sujets. Il quittait rarement sa femme ; pourtant il la quittait quelquefois, alléché par le bon accueil et les festoiemens à bas prix qu’il trouvait à leur taverne. Il laissait alors son trésor et sa moitié sous la garde d’une vieille sœur, duègne acariâtre et revêche, cerbère femelle qu’un gâteau de miel n’eût pas adouci, mais dont les habitudes et les penchans, bien connus de Rochester, se prêtaient à un autre genre de tentation.

Retenir le mari au cabaret, en son absence donner l’assaut décisif, tel était le plan du siège. Buckingham devait diriger la première de ces opérations. Plus mince, plus fluet, plus imberbe, Rochester, déguisé en paysanne, s’était chargé du rôle le plus essentiel. Pour pénétrer dans la close enceinte du domicile presbytérien, un simple appel aux dieux hospitaliers n’eût certainement pas suffi ; mais comment refuser sa porte à une pauvre fille prise d’un mal subit, et qui risque, si elle y succombe, de compromettre aux yeux des passans le décorum de son sexe ? Ainsi se présenta la fausse paysanne, et peut-être encore eût-elle échoué sans l’intervention charitable de la jeune femme, plus accessible à la pitié que sa farouche belle-sœur.

Celle-ci cependant s’adoucit singulièrement lorsque la pauvre malade eut extrait de sa poche l’antidote souverain qui, disait-elle, la délivrait de ses terribles accès. Le flacon exhalait une saine odeur de brandy, et le faible de la vieille commère était précisément un goût immodéré pour l’alcool sous toutes ses formes. Il ne fallut pas la prier longtemps pour la déterminer à goûter le précieux remède, ni, une fois goûté, pour qu’elle y revînt. Quand elle n’y vit plus trop clair, un second flacon, adroitement substitué au premier, compléta l’œuvre ténébreuse. Celui-ci ne contenait pas seulement de l’eau-de-vie.

Saint-Évremond, racontant tout ceci à la duchesse de Mazarin, raconte fort minutieusement ce qui advint lorsque le breuvage narcotique eut fermé les yeux d’Argus et livré sans défense aux sollicitations de l’amour la jeune femme mal gardée, qu’il baptise galamment du nom de Philis. Hortense Mancini n’était pas pour s’effaroucher de si peu ; mais nous n’écrivons pas pour les belles duchesses du temps jadis : il faut donc abréger beaucoup et passer fort vite sur le demeurant du conte, que La Fontaine à la rigueur aurait pu rimer. Philis donc tombe dans le piège tendu à son innocence, et, le premier pas fait, demande elle-même qu’on la tire de « cette prison, où elle n’a ni aisance ni plaisirs. » Rochester, comme on peut