« Charles, lui écrit-il, — et ce prénom donne à penser que le roi d’Angleterre était le parrain de l’enfant, — je suis très charmé que vous m’écriviez, ce qui, par parenthèse, vous arrive assez rarement, et je souhaite de tout cœur que votre bonne conduite me permette de vous montrer combien je vous suis attaché, sans avoir à rougir de mon affection. L’obéissance à votre grand’mère et en général à tous ceux qui forment votre jeunesse est le vrai moyen de vous rendre heureux ici-bas, et pour jamais ailleurs. Évitez la paresse, méprisez le mensonge, et Dieu vous bénira, ce que je lui demande pour vous. »
Tout banal qu’il est, ce billet paternel nous frappe en ceci qu’il atteste bien la différence des temps. Le père le plus rigide, à l’heure qu’il est, parlerait à son enfant avec moins d’autorité, de gravité paternelle, que Rochester ne se croyait permis d’en montrer tout au travers de la vie la plus effrontément dévergondée dont on ait jamais entendu parler. Un irréprochable bourgeois de notre temps s’accuserait de pédantisme, s’il sermonnait son héritier dans les termes où le plus débauché des courtisans de Charles II ne craignait pas d’endoctriner le sien. Qu’est-ce à dire ? et que faut-il conclure de cette étrange anomalie ? Peut-être tout simplement qu’à des mœurs généralement plus déréglées, il faut de toute nécessité opposer un frein plus puissant, et que l’indulgente familiarité qui s’est peu à peu introduite dans la hiérarchie de famille correspond à une amélioration graduelle des individus, plus faciles à maintenir dans la bonne voie. Voilà une hypothèse ; malheureusement il en est d’autres, beaucoup moins suspectes d’optimisme, qu’il serait tout aussi facile, nous le craignons du moins, de faire accepter des meilleurs esprits.
Lady Rochester fut-elle toujours la femme soumise, aimante, remplie d’abnégation, qui se révèle dans les lettres citées plus haut ? ou bien au contraire, découragée peu à peu, céda-t-elle à l’exemple fatal de son mari ? se laissa-t-elle aller au train de la cour où ils vivaient tous les deux ? Sur cette question délicate planent quelques doutes fâcheux. Dans un de ces curieux tableaux qu’il esquisse du bout de sa plume, Pepys laisse entendre, — disons mieux, il affirme très nettement, — que miss Mallet avait vengé d’avance les torts dont la comtesse de Rochester put ensuite avoir à se plaindre. Peu de temps après le mariage de la triste héritière, « je suis allé, nous dit-il, au théâtre, où j’ai vu dans le parterre se promener lady Rochester. Son mari était avec elle. Lord John Butler, ancien ami de la dame, lui lançait de singuliers regards, auxquels il était répondu avec une complaisance non moins singulière. » Pour savoir au juste si ce châtiment providentiel était à la mesure des délits de lèse-hyménée très certainement commis par Rochester, il faudrait être bien assuré que, surprenant une de ces œillades audacieuses,