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lieu d’être arrêté par le pouvoir absolu, qui faisait le vide autour du trône à son propre détriment et au détriment de la nation ? La nation a fait fausse route parce que la bonne route lui a été fermée. Plus heureuse, l’Angleterre, à travers le moyen âge et les temps modernes, conserva avec sa constitution sa législation électorale, qui, il y a vingt-cinq ans, était encore restée à peu près intacte. Cette constitution avait soutenu l’épreuve des siècles, mais elle n’avait pu échapper aux altérations du temps, de ce temps qui, par les abus comme par les progrès qu’il engendre, est le grand novateur, comme le désignait énergiquement lord Bacon[1]. Les conditions du droit d’élection étaient restées les mêmes dans la loi, mais elles avaient changé en fait. Ainsi dans les comtés les francs-tenanciers avaient gardé le monopole du suffrage et ils n’y participaient que sous certaines conditions, qui, en Écosse par exemple, réduisaient le nombre des électeurs à 2,000 environ ; mais à côté des propriétés des francs-tenanciers, qui seules pouvaient jadis garantir l’indépendance nécessaire à l’exercice du droit électoral, d’autres propriétés, acquises primitivement à titre de concessions féodales, s’étaient peu à peu relevées de cette dépendance, et la différence d’origine des propriétés ne justifiait plus la différence de capacité politique des propriétaires. Les droits des fermiers, au moins des fermiers à long bail, ne pouvaient non plus être justement exclus, et la position agrandie qu’ils avaient prise dans la société demandait à être reconnue par la loi.

Dans les bourgs, les abus étaient également devenus plus saillans à mesure que les vicissitudes de la population et de la richesse avaient métamorphosé toute l’économie d’un système devenu suranné. Ainsi dans un grand nombre des bourgs électoraux d’Angleterre le suffrage appartenait aux dernières classes de la population, souvent à l’exclusion de celles qui auraient eu le plus de titres pour l’obtenir. Il était ordinairement attribué aux habitans qui étaient admis au droit de bourgeoisie municipale (les freemen) en dehors de toute condition de fortune, soit par naissance, soit par service ou apprentissage, soit par concession au gré des conseils des villes, qui faisaient souvent, dans l’intérêt de telle ou telle candidature, la distribution la plus abusive du titre d’électeur. Dans d’autres bourgs, surtout en Écosse, le pouvoir électoral ; au lieu d’être démesurément étendu, était démesurément restreint, et il était concentré dans les conseils des villes, qui se recrutaient eux-mêmes, ou bien étaient choisis par les chefs des différentes corporations ; le député d’Edimbourg n’était ainsi nommé que par 33 électeurs.

  1. Discours de lord Grey, 1832.