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que la coquetterie, malgré ses enjeux bien plus risqués, n’a pas grande chance de succès. Les prudes ont beaucoup perdu, ce semble, depuis cette époque. Les coquettes n’auraient-elles pas gagné tout autant ?

En face de ce freluquet qui lui sert de repoussoir, — passez-nous ce jargon d’atelier, — Etheredge a placé le type de l’homme à bonnes fortunes, tel qu’au temps de Rochester, il se faisait tolérer des Anglais et adorer des Anglaises. C’est Dorimant disons mieux, c’est Rochester. Celui-ci ne se déshonore pas comme l’autre par la contrefaçon étrangère. Il fait moins de bruit et plus de besogne. Il est tout autrement habile sous ses airs étourdis, et tout autrement dangereux, Pendant que sir Fopling fait la roue, Dorimant marche résolument à son but, souple, insinuant, dissimulé, pouvant, en vue du succès qu’il lui faut, prendre tous les masques et parler toutes les langues. C’est ainsi que va nous le montrer une triple intrigue où nous le verrons aux prises tour à tour avec trois femmes diverses de mœurs et de caractère : mistress Loveit, maîtresse impérieuse et passionnée, qu’il eut hier, dont il est las ce matin, qu’il trahira ce soir ; Belinda, intime amie de mistress Loveit, jeune et spirituelle veuve, qui se fera volontiers complice de cette trahison préméditée, mais dont il faudra rassurer la conscience, amortir les scrupules, calmer les méfiances ; enfin une jolie héritière de province, destinée à les battre toutes deux et à courber sous le joug de l’hymen ce séducteur épris de la liberté dont il sait si bien abuser.

L’exposition de la pièce se fait dans le boudoir de Dorimant ; nous assistons à son petit lever ; nous l’entendons déblatérer contre l’incurie et la paresse de ses valets, trop enclins à suivre les bons exemples de leur maître. Surviennent les fournisseurs, Tom le cordonnier, Nan la marchande d’oranges, l’orange-girl, comme on disait alors. L’orange-girl avait, sous Charles II, une spécialité dévolue plus tard aux bouquetières : elle exerçait un de ces métiers ambigus qui servent fréquemment à en déguiser un ou plusieurs autres. Nell-Gwynn par exemple, comédienne quand elle devint la Du Barry du Louis XV anglais, avait commencé par vendre aux portes des théâtres et sur les promenades le fruit à la mode. C’est là que l’avaient ramassée ses premiers protecteurs, soit Hart ou Lacy[1], soit ce « bonhomme de la Cité » dont parle Etheredge, lesquels la mirent ensuite dans les mains de Buckhurst. On voit donc, sans trop chercher, ce que peut être Nan, et ce que signifient les visites matinales dont elle favorise Dorimant. Entendons-nous cependant : Nan-la-Brumeuse (Foggy-Nan) n’en est plus à pouvoir prétendre, pour elle-même, aux bonnes grâces du jeune roué. Elle compte dans

  1. Deux comédiens fameux de l’époque.