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de Paris, du Paris de Louis XIV, avec toutes les grâces du marquis de Mascarille, tant bien que mal greffées sur la stupidité naturelle au boor anglais. Idole de certaines caillettes, jouet secrètement méprisé des femmes qui font l’amour en conscience et prennent la mauvaise vie au sérieux, ce mannequin à dentelles, ce singe grimaçant et frétillant remplit la scène de ces allures extravagantes que Molière raillait si bien. Vous retrouvez en lui sans difficulté les personnages du Misanthrope et des Fâcheux, les grandes embrassades et les familiarités à première vue qui désolaient Alceste, l’amas de rubans verts, les grands canons, la vaste rhingrave et la perruque blonde du beau Clitandre, le haut parler d’Alceste, — ce grand brailleur, — et parfois aussi les airs mystérieux de Timante, — enfin les petits vers d’Oronte « à la belle et complaisante Philis. » Sir Fopling Flutter est de ces gens

… Qui de rien veulent fort vous connaître,
Dont il faut au salut les baisers essuyer,
Et qui sont familiers jusqu’à vous tutoyer[1].


Il avait appris la musique de Lambert lui-même ; mais, pour ménager sa faible voix, il ne chante que dans les ruels (nous copions scrupuleusement le français d’Etheredge). Son valet de chambre a été formé par Merille, — un homme de génie qui appartenait au duc de Candale. Au sortir du bal, nouant ses cheveux, il s’enveloppe dans un magnifique brandebourg, et, suivi de balladins, escorté de deux ou trois flûtes qu’il a ramenées de Paris, il hante les belles assemblées, les cadeaux. Corant, borée, minnuet (courante, bourrée, menuet), il vous dansera ce qu’il y a de plus nouveau dans tous les genres. Il se fait, à son grand regret, précéder d’un page anglais, chargé de l’annoncer aux personnes de qualité qu’il va voir ; mais le reste de ses gens est venu de France, ainsi que sa calèche, qui a brillé au cours avant de s’étaler dans High-Park. On est tenu d’admirer, pour peu qu’on soit « du bel air, » les glands de son haut-de-chausses (qu’à Londres on appelait déjà pantaloon), la frange de ses gants, tous les détails enfin de son ajustement merveilleux, sorti des meilleures mains : habit de Barroy, gants de Martial, garnitures de Legras, souliers de Picard, perruque de Chedreux. Nul besoin d’ailleurs d’insister sur ce personnage. Tête à l’évent, grand diseur de riens, tout à ses minauderies, volontiers admis par des femmes qu’il amuse sans les compromettre, il a rapporté, à leur usage, la dernière théorie des petits-maîtres parisiens, qui, dit-il, consiste à « flatter les prudes, rire des fausses prudes, faire sérieusement la cour aux demi-prudes, et se railler simplement des coquettes. » Vers la fin du XVIIe siècle, pruderie et vertu se ressemblent fort, tandis

  1. Les Fâcheux, act. Ier, sc. Ire.