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hors d’état désormais de lui marchander aucun sacrifice, que Louis XIV parvint à triompher enfin de la mauvaise fortune, à conserver à la France la plupart de ses conquêtes, et à une dynastie française la couronne des Espagnes. Si de 1704 à 1713 son gouvernement soumit la nation à des tortures qu’elle ne devait plus connaître que durant la période correspondante du siècle suivant, ces extrémités de la soumission et de la souffrance ne lui furent pas du moins inutiles, car à la dernière page de l’histoire de son règne Louis XIV put inscrire la victoire de Denain et le traité d’Utrecht.

En complétant le territoire français par des acquisitions longtemps disputées, en façonnant sans relâche la nation à l’égalité dans toutes les relations civiles, Louis XIV devenait son premier initiateur à cette vie démocratique et militaire du sein de laquelle la révolution et l’empire sortirent un jour comme deux jumeaux. Cependant, si conforme que fût au génie français ce gouvernement centralisé, il existait dans le pays un autre élément dont ce prince, dans les enivremens de sa toute-puissance, avait omis de tenir compte, et qui ne tarda pas à réagir contre son œuvre., au point de finir par la renverser. Si la France aime la force dans l’administration des affaires publiques, elle n’a pas un goût moins vif pour la liberté dans les spéculations de l’esprit et pour toutes les témérités de l’intelligence. Durant la première partie du règne de Louis XIV, le prestige qui s’attachait aux miracles de sa fortune avait momentanément dominé cette disposition native et maintenu l’opinion dans un parfait accord avec les institutions existantes ; mais cette abdication de l’esprit critique n’avait pas été de longue durée. Le jansénisme, devenu l’instrument d’une pensée toute politique sous les seules formes où elle pût alors se produire, avait donné à cette indestructible disposition du génie français une satisfaction d’autant plus vive qu’elle était moins avouée, et sous le règne inauguré au bruit des cantates lyriques, on vit s’élever et croître dans l’ombre l’opposition d’esprits fiers et contenus dont une publicité posthume nous a révélé les haines secrètes, mais profondes. Sans parler des écrivains réfugiés, qui ont fait si chèrement payer à Louis XIV le prix de la plus lourde de ses fautes, Fénelon, Catinat, Vauban, Saint-Simon, Boulainvilliers, Boisguillebert, représentèrent, aux derniers temps du règne, cet indestructible ressort que les pouvoirs les plus forts ne parviennent point à briser, et par lequel la France ne tarde jamais à se relever de ses plus apparentes prostrations. Quelques différences qu’il y ait à signaler entre les points de départ de ces hommes plus éminens encore par le caractère que par l’intelligence, tous exprimèrent la même pensée, et le doux archevêque de Cambrai trouva des paroles plus énergiques peut-être que celles de Saint-Simon pour exhaler l’indignation accumulée