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d’être trop uniforme et de laisser trop peu de place au goût individuel soit du professeur, soit de l’élève. L’église, en littérature, est somme toute moins dogmatique que l’université. Le goût y est moins pur, les méthodes y sont moins sévères ; mais la superstition littéraire du XVIIIe siècle y est moindre. Le fond y est peut-être moins sacrifié à la forme ; on y trouve plus de déclamation, mais moins de rhétorique. Cela est vrai surtout de l’enseignement supérieur. Soustrait à toute inspection, à tout contrôle officiel, le régime intellectuel des grands séminaires est celui de la liberté la plus absolue : rien ou presque rien n’étant demandé à l’élève comme devoir rigoureux, il reste en pleine possession de lui-même ; qu’on joigne à cela une solitude absolue, de longues heures de méditation et de silence, la constante préoccupation d’un but supérieur à toutes les considérations personnelles, et on comprendra quel admirable milieu forment de pareilles maisons pour développer les facultés réfléchies. Un tel genre de vie anéantit l’esprit faible, mais donne une singulière énergie à l’esprit capable de penser par lui-même. On en sort un peu dur, parce qu’on s’est habitué à placer une foule de choses au-dessus des intérêts, des jouissances et même des sentimens individuels ; mais cela même est la condition des grandes choses, qui ne se réalisent jamais sans une forte passion désintéressée. Voilà pourquoi les séminaires sont une source si importante d’esprits distingués et tiennent une si grande place dans la statistique littéraire. La nullité même de l’enseignement qui s’y donne est en un sens un avantage : l’esprit des jeunes gens y conserve plus de liberté que dans les écoles où l’enseignement est trop réglé. La vieille scolastique qu’on y apprend est si insignifiante que personne ne peut s’en contenter, et que chacun garde sa pénétration d’esprit, s’il en a, pour penser à sa guise. L’instruction positive y est, comme partout, ce que chacun se la fait ; l’esprit français, bien plus porté vers les développemens brillans et oratoires que vers la connaissance scientifique des choses, n’éprouve presque jamais sous ce rapport de besoins bien étendus.

Je ne crois pas exagérer en disant que Lamennais sortit du séminaire tout formé et déjà en possession de ses données essentielles. Les premiers essais, d’un caractère purement ascétique, qu’il publia dès 1807 sont aussi parfaits de style que ses ouvrages les plus admirés : on y trouve ce mélange pénétrant d’onction et de vigueur qui forme le cachet de son génie. Il eut tout d’abord et garda à travers ses transformations l’ampleur du style ecclésiastique, ce vocabulaire sonore, à nuances tranchées, qu’il a porté avec lui dans les camps les plus divers. Le prêtre a un style à part et dont il ne se débarrasse jamais. Le grand absolu de ses thèses lui permet des