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des constructions navales, institués sur des bases qui n’ont point changé, vinrent centraliser tous les renseignemens et préparer en les éclairant les résolutions ministérielles. L’unité des poids et mesures fut établie dans tous les arsenaux. L’administration fut séparée dans les ports du commandement militaire, et des instructions multipliées embrassèrent les plus minutieux détails avec une telle précision, que tous les progrès de l’avenir sont venus s’encadrer comme d’eux-mêmes dans le cercle élastique de ces prévisions admirables. La flotte française, qui ne se composait en 1662 que de trente bâtimens de guerre, comptait déjà, lors de la paix de Nimègue, cent vingt bâtimens. Lorsque Colbert mourut en 1683, ce nombre s’élevait à cent soixante-seize ; en y ajoutant les galères et les navires en construction, la force maritime de la France n’était pas inférieure à deux cent soixante-seize bâtimens.

Le soin du matériel ne faisait pas négliger au gouvernement de Louis XIV celui du recrutement naval. Pendant que les compagnies de gardes de la marine mettaient chez les jeunes officiers de vaisseau la science nautique à la hauteur du courage, la précieuse inscription maritime substituait à l’ancienne presse, dont nous avions partagé jusqu’alors avec l’Angleterre l’humiliante nécessité, un mode d’enrôlement régulier qui venait confondre dans une même pensée et une égale sollicitude le double intérêt de l’état et du commerce, de la patrie et de la famille. Enfin l’ordonnance de 1681, où tous les détails de ce grand service sont consignés, où les plus hautes questions du droit maritime sont résolues, appliquait le dernier sceau à tant de créations fécondes, et dotait la France d’institutions que toutes les nations ont imitées sans jamais parvenir à les égaler. « Si des principes l’on arrive aux résultats, dit le judicieux historien de Colbert, on voit la marine marchande se développer tout à coup, grâce au double encouragement du droit de tonnage et des primes, le régime régulier des classes substitué aux violences de la presse, une caisse de secours fondée en faveur des gens de mer invalides, des écoles d’hydrographie et d’artillerie créées, les ports du Havre et de Dunkerque fortifiés ; puis enfin, comme couronnement de cette œuvre, où l’activité et le soin des détails s’élevèrent jusqu’au génie, une ordonnance mémorable, la première de ce genre et le modèle de toutes celles qui l’ont suivie ; une flotte de deux cent soixante-seize bâtimens dans un pays qui en comptait trente à peine vingt ans auparavant, et pour la commander d’Estrées, Tourville, Duquesne, Vivonne, Châteaurenault. Les destinées de la France eussent été trop belles, si ceux qui la gouvernaient à cette époque n’avaient pas abusé d’une si grande puissance ; mais c’est par malheur le propre de la force d’incliner à la violence, et il semble qu’il soit