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qu’ici l’impulsion ; mais la situation du Bengale suffit seule pour inspirer ces appréhensions et ces craintes dont parlait récemment lord John Russell. Aussi le gouvernement anglais s’est-il hâté de prendre d’énergiques mesures. Les troupes qui devaient aller en Chine ont été déjà retenues dans les provinces indiennes sous le coup de ces événemens ; de nouveaux régimens vont partir d’Angleterre, et, sans plus de retard, un des généraux qui ont commandé en Crimée, sir Colin Campbell, a reçu la mission d’aller se mettre à la tête de l’armée anglaise de l’Inde, dont l’importance sera proportionnée aux nécessités nouvelles. Si ce n’est point une autre conquête à faire, comme on l’a dit, c’est du moins une domination et un prestige à raffermir aux yeux d’une population de plus de cent millions d’hommes que la moindre faiblesse encouragerait sans nul doute.

Il reste toujours à se demander quelles ont été les causes du mouvement qui agite aujourd’hui l’empire indien. C’est ce qui vient d’être discuté ces jours derniers dans la chambre des communes par M. Disraeli d’une façon peut-être un peu prématurée. Il est bien clair qu’une victoire décisive, une répression vigoureuse infligée aux insurgés du Bengale feraient pour le moment bien mieux l’affaire des Anglais que la motion de M. Disraeli, qui a proposé d’envoyer une commission royale d’enquête dans l’Inde. Lord John Russell entrait mieux dans l’esprit du parlement et du pays par la proposition d’une adresse qui promettait l’appui de la chambre à tous les efforts que ferait le gouvernement pour réprimer les troubles de l’Inde, à toutes les mesures qui pourraient être jugées nécessaires pour le rétablissement durable de la tranquillité dans les possessions anglaises. Cette motion, qui a été adoptée, conciliait le devoir d’assurer un concours sans réserve au gouvernement dans les circonstances présentes avec la nécessité de prendre les moyens les plus efficaces pour empêcher des explosions nouvelles, c’est-à-dire en définitive de rechercher les causes du soulèvement actuel. Qu’il y ait eu des causes plus profondes et plus générales que le prétexte invoqué par les cipayes insurgés, cela ne peut guère être douteux. La grande raison, c’est l’antipathie qui existe entre les conquérans et les races conquises, entre la civilisation anglaise et les mœurs, la religion, les usages des populations qui fourmillent dans l’Inde. Le froissement est permanent. La domination de l’Angleterre est assurément en principe un bienfait pour l’Inde et pour les populations indiennes. Seulement cette domination prend un caractère trop évident d’oppression, et, chose étrange, il arrive parfois que, même par des actes utiles, humains, tels que la suppression de coutumes barbares, elle amasse contre elle des haines implacables en blessant le sentiment religieux. La propagande active des sociétés bibliques n’a qu’un effet, c’est de persuader aux Hindous qu’on veut les faire chrétiens, et cette propagande devient ainsi une sorte de prosélytisme de la haine contre la puissance anglaise.

Dans sa politique d’ailleurs, la compagnie des Indes se préoccupe peu d’adoucir le joug. Depuis dix ans surtout, elle a pratiqué sur la plus large échelle le système des annexions, des dépossessions, des confiscations ; elle a bouleversé les conditions de la propriété ; elle a mis à néant des engagemens formels, et quelquefois même, comme il est arrivé l’an dernier, elle a été condamnée à des restitutions par le conseil privé d’Angleterre, qui la blâmait de soulever des questions dangereuses. Qu’en résulte-t-il ? Les mécontentemens