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Lander fut assassiné dans le delta par les naturels. M. Beecroft, consul d’Angleterre à Fernando-Pô, renouvela trois fois, de 1836 à 1845, la tentative d’Oldfield, sans pouvoir dépasser le point atteint par son prédécesseur. Enfin une grande expédition, confiée en 1840 au capitaine Trotter, eut la plus désastreuse issue, et le Niger semblait devoir être abandonné, quand la conjecture ouverte par le docteur Barth réveilla la curiosité et l’ardeur des Anglais.

C’est qu’en effet, si la conjecture de ce voyageur se trouvait justifiée par l’événement, des résultats de la plus haute importance pouvaient en sortir : jusque-là, on n’avait pénétré dans la partie centrale du Soudan que par la route longue et périlleuse de Tripoli et du désert ; désormais le Niger et le Tchadda ouvriraient une large voie fluviale menant au cœur de ces régions lointaines, et permettant d’entretenir des relations constantes avec les peuples riverains. Cependant de grandes craintes se mêlaient à ces espérances, car les désastres des précédentes expéditions étaient présens à toutes les mémoires, et beaucoup prétendaient que ce chemin des fleuves, si simple en apparence et si direct, serait toujours trop meurtrier pour être praticable. L’expédition anglaise décidée en 1851 devait donc être en quelque sorte une grande et suprême expérience. Cette expérience a eu lieu, et nous voyons avec la joie la plus vive que les espérances des amis de la science se sont pleinement réalisées. L’Afrique est vaincue. Cette terre qui, semblable au vieux sphinx, dévorait ceux qui cherchaient à résoudre ses énigmes, s’est laissé envahir sans prendre cette fois une seule victime.

Le plus grand soin présida aux préparatifs de l’expédition. M. Laird, ancien compagnon d’Oldfield, pourvut en personne à l’armement de la Pleiad, petit vapeur à hélice, de la force de soixante chevaux, jaugeant deux cent soixante tonnes, long de cent pieds (anglais), et n’ayant qu’un tirant d’eau de six et de sept pieds tout chargé. Le consul de Fernando-Pô, M. Beecroft, reçut la direction scientifique de l’expédition ; mais ce zélé explorateur de l’Afrique mourut au moment où la Pleiad paraissait en vue de la côte de Guinée, et M. Baikie fut désigné par sa capacité et son expérience pour le remplacer. Ce savant, dont la relation nous servira de guide, avait pour mission d’explorer le fleuve et la rivière, en pénétrant dans l’est le plus avant possible au-delà de Dagbo, point atteint par l’expédition de 1832, de s’efforcer de retrouver la trace de Barth et de Vogel, et de se mettre en communication, s’il était possible, avec ces courageux voyageurs. Ses instructions lui prescrivaient de n’employer que le nombre d’hommes blancs strictement nécessaire, de mettre à profit la saison pluvieuse, pendant laquelle les cours d’eau sont gonflés, enfin de recourir à la quinine comme préservatif contre les influences du climat. Son état-major scientifique se composait de MM. Hutchinson, naturaliste et chirurgien ; May, officier de marine qui avait offert sa coopération ; Crowther, missionnaire qui avait fait partie de l’expédition de 1841 ; d’un jeune naturaliste adjoint et d’un interprète. L’équipage, comprenant en tout douze Européens et cinquante-trois hommes de couleur, était sous les ordres du commandant Taylor.

C’est au commencement de juillet 1854 que la Pleiad, remorquant deux canots en fer, pénétra par le Rio-Nun dans le vaste delta du Niger. Il n’y a pas de navigation plus difficile que celle de ce labyrinthe de bras entrecroisés,