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n’est pas de pays où l’accroissement du nombre des habitans soit moins rapide qu’en France, alors que le développement de la production et l’augmentation de la richesse publique, ainsi que de l’aisance générale, suivent une progression rapide. Bien plus, c’est la division du sol et l’esprit de prévoyance particulier aux petits propriétaires que l’on commence à présenter comme la cause de la marche lente et de la situation presque stationnaire de la population. Ainsi jamais prédictions plus alarmantes n’ont reçu des faits un plus éclatant démenti.

La question soulevée avant 1789 fut agitée de nouveau avec une vivacité singulière en 1820 et en 1825. C’est à l’influence de nos lois civiles, à la constitution du sol qu’on s’attaquait alors. Le morcellement des propriétés était dénoncé comme une calamité nationale : on disait que le sol de la France était pulvérisé, qu’on ne comptait plus par hectares, ni même par arpens, qu’il n’était que trop commun de voir des pièces de terre d’une perche, ou même d’une toise. En 1825, ces plaintes prirent un caractère plus vif encore, et la chambre des députés entendait ces lamentables paroles : « Pourquoi tant de misère dans nos campagnes ? pourquoi nos denrées sans consommateurs, et notre bétail invendu, et nos villes désertes, et les producteurs s’épuisant en vains efforts pour trouver des gens qui achètent des meubles, des étoffes, même des vêtemens et des souliers ? Ouvrez le code, là se trouve la solution ; la propriété est réduite en poussière, la loi française proscrit virtuellement la charrue ! »

Plus de trente ans se sont écoulés depuis cette époque ; il nous est permis de reconnaître par des chiffres combien était grande l’erreur qui dictait ces paroles. Le tableau offert de tous côtés par la situation actuelle de la France, la population mieux nourrie, mieux vêtue, mieux logée, les villes plus peuplées, l’industrie et le commerce plus florissans, l’agriculture plus active et plus féconde, protestent contre ces attaques, et il ne sera pas inutile de répondre par des chiffres inexorables à d’étranges hypothèses.

Sans doute la propriété est très divisée en France, la révolution, en affranchissant le sol de tous les liens féodaux et en aliénant les domaines nationaux, a élargi le cercle de la petite propriété, déjà fort étendu au XVIIIe siècle ; mais notre loi civile, qui obéit aux inspirations les plus pures de l’âme, en maintenant l’équité dans la famille, alors que la loi politique proclame l’égalité dans l’état, — notre loi civile n’a point produit les conséquences monstrueuses qu’on a voulu lui imputer. La grande et la moyenne propriété continuent de subsister à côté de la petite, et c’est à peine si le principe du partage des successions suffit pour contrebalancer l’active