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le Téméraire aux états de Flandres en 1475. Jamais le dogme du droit divin dans toute son étendue n’avait été si fièrement annoncé aux hommes ; il fallait toute l’imprudence de ce fougueux prince pour oser parler de ce ton aux vieilles communes flamandes, qui, du reste, le firent bien payer à sa fille. « Puisque ses sujets, leur disait-il, ne se souciaient point d’être gouvernés par lui comme des enfans par un père qui a droit de les « exhéréder pour leurs démérites, » ils seront désormais gouvernés et vivront sous lui comme des sujets sous leur seigneur. C’est de Dieu et non d’aucun autre qu’il tient sa seigneurie, et il la gardera tant qu’il plaira à Dieu, « malgré la barbe de tous ceulx à qui il en desplairoit. » Et pour preuve qu’il a ce pouvoir et qu’il le tient de Dieu, et non de ses sujets, il suffisait de lire le Livre des Rois, en la Bible, « où par mots exprès Dieu a désigné et déclairé le povoir des princes sur leurs subjectz. » Il avait assez longtemps prié, il voulait désormais commander, ajoutait-il en terminant, « et ceulx qui luy seroient désobéissans, il les punirait tellement qu’ils expérimenteraient ce que plusieurs autres avoient expérimenté, lequel il ne conseille point, car il ne fait point bon expérimenter toutes choses[1]. »

Telle était en quelques mots durs et cassans la théorie royale, car Charles comptait bien devenir roi. Plus modérément formulée ailleurs, mais aussi mieux soutenue et suivie avec la persévérance dogmatique d’une jurisprudence, elle absorbait tout droit dans le droit du prince, sans en excepter la propriété, dont elle prétendait pouvoir a exhéréder » les sujets « pour leurs démérites. » C’est contre cette théorie et contre l’avenir dont elle les menaçait que les sujets se réfugiaient dans leurs libertés locales, dans leurs droits acquis par des traités, ou arrachés par les révoltes de leurs pères, ou achetés par des services, et dans leurs corporations et leurs ligues. L’histoire peut aujourd’hui décrire les imperfections de cet état social, applaudir aux nouveautés qui l’ont peu à peu transformé, et lui opposer la sagesse, l’harmonie et la solidité de nos institutions administratives ; mais elle peut et elle doit en même temps reconnaître et expliquer les raisons qu’avaient les hommes du moyen âge pour s’y attacher. Personne, pas plus aujourd’hui qu’alors, ne connaît le lendemain de ce qu’il fait. Placée chaque jour dans une situation nouvelle, la royauté suivait son chemin sous une impulsion traditionnelle, tournait sans cesse avec habileté de nouveaux obstacles, ou sortait des situations violentes par d’autres violences : l’ensemble des résultats était encore plongé dans l’obscurité des temps à venir. D’autre part, ceux qui subissaient en détail les froissemens et les

  1. Voir le texte entier dans M. Gachard (Documens inédits de Belgique).