Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/621

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou moralités du théâtre dû moyen âge, où deux personnages principaux, une vertu et un vice, mènent l’action et la conduisent à une édifiante catastrophe. La vertu mise en scène par Commynes, c’est l’humilité sous la figure de Louis XI, humilité qui se trouve plus d’une fois exactement définie par l’historien, et qui consiste à savoir se préserver des trop hauts sentimens et descendre à propos aux souplesses nécessaires au succès. Le vice, c’est l’orgueil sous la figure de Charles le Téméraire, qui n’écoute plus aucun conseil depuis que la bataille de Montlhéry l’a convaincu qu’il est un grand homme de guerre, et qui par cette confiance en lui-même court à sa ruine. La catastrophe arrive, parce que Charles avait « encouru l’ire de Dieu, de ce que toutes les grâces et honneurs qu’il avoit reçus en ce monde, il les estimoit tous être procédés de son sens et de sa vertu sans les attribuer à Dieu, comme il devoit. » Quant à Louis XI, c’est tout différent. Il est récompensé, parce qu’en toutes choses il a été humble et fidèle à la grâce.

Dès les premières pages, cette doctrine va se montrer. Au siège de Paris, chacun des deux partis cherchait à acheter des défections dans le parti contraire. « Chacun jour, dit Commynes, il se menoit de petits marchés pour fortraire gens l’un à l’autre ; et pour cette cause, s’appela ce lieu depuis le marché, pour ce que telles marchandises s’y faisoient. » L’historien blâme fort les chefs qui permettaient ces communications imprudentes ; elles sont dangereuses surtout, dit-il, pour celui « qui est en apparence de décheoir, car chacun tire naturellement aux plus forts ; » mais les « marchandises » en elles-mêmes, il ne les condamne point : il les justifie au contraire quand elles sont adroitement faites et qu’elles réussissent, elles sont alors l’œuvre de Dieu et la récompense de l’humilité. Le danger sera surtout grand, dit-il, si on a contre soi un prince « qui cherche à gagner gens : qui est une grand’grâce que Dieu fait au prince qui le sait faire, et est signe qu’il n’est point entaché de ce fort vice et péché d’orgueil qui procure haine envers toutes personnes. » Ainsi l’art de « gagner gens, » l’art de corrompre, car il n’est question ici que de « marchandise, » voilà le grand don que Dieu fait aux princes. Si vous ne savez point « gagner gens, » c’est que vous êtes « entaché de ce fort vice et péché d’orgueil » qui trouble le monde et fait encourir « l’ire de Dieu. »

En voici d’autres exemples. Entre tous ceux qu’il a jamais connus, dit-il, le plus sage pour se tirer d’un mauvais pas, c’est le roi Louis XI, son maître, « le plus humble en paroles et en habits, et qui plus travailloit à gagner un homme qui le pouvoit servir ou qui lui pouvoit nuire. » Voyez comme l’art de « gagner gens » reste toujours le caractère de la vertu d’humilité. « Il ne s’ennuyoit point