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d’une milice, une plus juste répartition et une perception mieux surveillée de l’impôt. En 1413, au sein même de l’anarchie, ils rédigent un code d’administration, réforment la justice et la finance, appliquent l’élection aux offices, et demandent des lois protectrices de l’agriculture et des paysans. Ainsi tout se généralise dans leur pensée, tandis que dans les choses tout se groupait encore en intérêts collectifs, mais restreints, et en forces contraires. Ce besoin de raison et de raisonnement, si remarquable dans la littérature populaire du temps, prenait ses grandes proportions dans les grandes choses. D’où venait-il ? De toutes les forces vives qui animaient ce peuple, et qui, dans la mobilité des événemens, étaient toujours les mêmes, toujours au même travail : l’église, les universités, la scolastique, le droit, toutes choses plus actives en France que partout ailleurs, et dont le propre est de ramener constamment les faits aux idées. Pourquoi la constitution générale de l’état n’aurait-elle pas subi la même loi ? pourquoi la raison, y trouvant encore trop d’élémens indociles, ne les aurait-elle pas laissés se détruire, pour reconstruire, quand le temps en serait venu, ceux qui peuvent recevoir son empreinte ?

Si donc, abandonnant ce qui divise, on cherchait désormais de préférence à faire ressortir dans notre histoire le principe commun d’activité qui est l’âme nationale, et qui relie entre eux le passé et l’avenir, on le trouverait sans nul doute dans cet instinct rationnel qui tend à produire la liberté dans l’unité, et qui, succombant parfois sous la grandeur même de sa mission, se relève et avance toujours. Il n’y a point de crise d’où il ne sorte plus vivant, point de compression qui ne développe ses forces, point d’hommes puissans qui, même sans le vouloir, ne travaillent à son profit. Nous essaierons ici d’en montrer quelques exemples. Nous les choisirons dans l’une des époques les plus défavorables, c’est-à-dire à l’issue du règne de Louis XI. Vingt ans d’une tyrannie sournoise semblaient alors avoir éteint la dernière étincelle des libertés de ce temps. De plus, cette tyrannie avait été, à certains égards, bienfaisante, et se justifiait jusqu’à un certain point par l’extirpation d’un principe de discorde et de démembrement : c’était une défaveur de plus pour la liberté. Il y avait pis encore pour elle ; toute l’Europe se ressentait d’un resserrement monarchique dont la cause était générale, et qui n’exprimait qu’un progrès normal des sociétés. À l’idée des provinces, des fiefs, des corporations, succédait l’idée de l’état. Entre les divers états, un système d’équilibre, se substituant à l’arbitrage des papes, commençait à s’ébaucher ; nouvelle raison pour chacun d’eux de fortifier le pouvoir central. En Espagne sous Ferdinand, en Angleterre sous Henri VII, en Allemagne, et jusque dans les pays inconnus