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faits et d’individus qui, de trop près, paraissaient notables, est le premier degré du dégagement de ce qu’on appelle proprement l’histoire. Beaucoup plus tard, quand les choses que les contemporains voyaient seuls ont en partie disparu, il en apparaît d’autres qu’ils ne voyaient pas, et dont le germe pourtant s’était déposé au milieu d’eux. C’est ainsi que la naissance des religions et des états n’a presque jamais été aperçue à temps pour être bien décrite ; quand on les remarque, ce sont déjà des faits énormes et dominans : il faut alors remonter péniblement le cours des âges, fouiller dans l’oubli, scruter toutes les traces, et, si peu qu’on en trouve, refaire l’histoire pour leur y donner une place égale, s’il se peut, à leur importance. C’est ainsi encore que les lents progrès de l’administration, du commerce, des arts, de la police, qui, dans leur temps, en dépit des noms des Jacques Cœur, des Colbert et des Turgot, n’offraient qu’un détail aride et mesquin, c’est ainsi même que de simples inventions de physique ou de mécanique, telles que la boussole, la poudre, l’imprimerie, la vapeur, qui n’étaient que des nouveautés techniques propres à certains métiers, ont néanmoins abouti à découvrir de nouveaux mondes, à mêler la race humaine, à changer la guerre, les gouvernemens et les rapports internationaux, à élever des classes entières d’hommes dédaignés, à abaisser toutes les hauteurs, et à soumettre à la libre acceptation de chacun les doctrines jusqu’alors imposées d’autorité et reçues avec effroi. Il faut donc bien que ces petits commencemens, qui ont si prodigieusement grossi, s’emparent de la narration, en éliminent nombre de batailles ou d’intrigues qui la remplissaient, et la refondent entièrement. C’est le second degré du travail historique, lorsqu’il commence à remanier le passé, mieux connu par ses suites.

Une autre cause enfin non moins importante d’accroissemens, et, pour ainsi parler, d’innovations historiques, résulte, par le progrès des études, du rapprochement comparatif des civilisations diverses, séparées par l’espace et par le temps, dont il faut bien signaler les analogies, les ressemblances, au milieu des diversités, car le but essentiel de l’histoire est de montrer l’homme parmi les hommes, et l’action du variable et du passager sur ce qui est universel et immortel en nous. Ici l’histoire embrasse un horizon plus vaste, et se rapproche de la philosophie ; elle cherche à définir certaines lois qui font la destinée du genre humain, et qui mènent les peuples dans leur cycle séculaire, comme elles mènent les individus dans l’éphémère trajet de la vie, servant d’exercice et de contre-poids à leur libre arbitre, et leur laissant le mérite moral et la récompense de leurs œuvres, sans pourtant leur permettre de sortir de l’orbite tracé au tout par Dieu même. Ces lois communes éclaircissent d’ailleurs