Nicomédie. Il se sentait là plus à l’aise pour son essai de monarchie orientale. Constantin, qui reprit l’œuvre de Dioclétien, voulut aller la continuer dans un milieu qui était fait pour elle, loin de cette Rome où un sénat bien dégradé sans doute faisait vivre un souvenir de la république, et où l’empire n’avait jamais pu devenir la royauté. Il y fut sans doute encouragé par la situation de Byzance, situation qu’il avait eu l’occasion d’admirer pendant le siège qu’il avait fait de sa future capitale. Je crois qu’il fut décidé surtout par l’idée qu’une nouvelle religion s’établirait mieux dans une ville nouvelle. Rome était l’asile du vieux paganisme, il s’y retranchait dans les débris du vieux patriciat. La foi qui remuait le monde semblait ne pouvoir ébranler l’immobile rocher du Capitole, et cependant c’est là que cette foi devait s’asseoir et se fonder. Constantin ne comprit pas cet avenir du christianisme. Il céda à la papauté l’honneur de maintenir Rome à la tête du monde. En présence du paganisme qui se cramponnait à Rome, il eut peur d’un fantôme. S’il eût regardé en face ce patriciat décrépit, il en aurait compris la faiblesse, et par sa présence il lui eût imposé sa foi. Il devait planter bravement son labarum sur le Capitole et défier le monde de venir l’en arracher. Ses successeurs, toujours à Ravenne et à Milan, quand ils n’étaient pas à Constantinople, livrèrent aux Goths le Capitole, que la république avait défendu contre les Gaulois. Cette plainte n’est pas d’hier. Claudien s’écriait déjà : « Pourquoi le pouvoir s’est-il exilé loin de ses foyers ? Pourquoi l’empire est-il errant ? »
- … Laribus sejuncta potestas
- Exulat, imperiumque suis a sedibus errat.
Et un poète du moyen âge disait tristement : « O Rome, si tu es esclave, c’est que tes maîtres t’ont abandonnée. »
Aujourd’hui celui qui écrit au milieu des ruines de Rome ne peut se défendre de quelque colère contre l’impolitique abandon qui a fait les plus anciennes de ces ruines. Et encore ici il admire les sévères justices de la Providence. Rome s’était livrée pieds et poings liés à l’empire, elle s’était rendue sans condition au despotisme. D’abord le vainqueur traita bien sa captive, puis il lui fit éprouver les rigueurs de ses cruautés et l’ignominie de ses caprices ; enfin, las de cette vieille esclave, il la quitta pour une plus jeune et la livra… L’empire a successivement asservi, opprimé, enfin déserté Rome. Les Barbares n’auront pas beaucoup à faire pour l’achever.
J.-J. AMPERE.