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pas abandonnées ; le témoignage d’un poète païen, Claudien, et celui d’un évêque chrétien, Maxime de Turin, font voir également que les aruspices étaient consultés de leur temps, et lorsque Alaric menaçait la ville, le préfet Pompeianus fit appeler, pour la défendre, des prêtres étrusques qui promirent de diriger le feu du ciel sur les ennemis de Rome. Enfin le fanatisme païen fut encore assez puissant pour faire étrangler une princesse chrétienne, Serena, veuve de Stilicon, et dont la fille avait épousé Honorius, parce qu’elle avait enlevé le collier d’une déesse et avait osé s’en parer[1]. De tels faits, qui montrent les résistances obstinées du paganisme vaincu, ses retours momentanés et les hésitations du genre humain dans la voie nouvelle où il était entré, font comprendre la présence de sujets païens dans l’arc de Constantin et l’ambiguïté de l’inscription qui l’accompagne.

Entre les bas-reliefs qui proviennent d’un arc de triomphe élevé en l’honneur de Trajan et ceux qui sont du temps de Constantin, la différence sous le rapport de l’art est manifeste. Les morceaux d’emprunt sont de la belle sculpture romaine, ceux qui appartiennent à l’époque de Constantin sont pitoyables. Il y a là des Victoires qui posent le pied sur des bonshommes grotesques. Ceux-ci représentent des Barbares agenouillés. Le pied d’une de ces Victoires couvre toute la jambe du Barbare[2].

Constantin n’est pas le premier qui ait ainsi dépouillé le passé pour décorer le présent ; bien longtemps avant lui, Sylla avait enlevé d’Athènes les colonnes du temple de Jupiter Olympien pour en orner le Capitole. Ces spoliations se sont reproduites à toutes les époques, et c’est à peine si de nos jours on commence à reconnaître que les monumens appartiennent à l’histoire, et que les siècles aussi ont leur droit de propriété.

Quand on a dépassé le Forum, en s’avançant vers le Colisée, on aperçoit, à sa gauche, trois grands arceaux : dans celui du milieu est une vaste crevasse par où l’œil se plaît à voir tomber la lumière

  1. On trouvera ces faits cités dans le bel ouvrage d’Ozanam sur la Civilisation au cinquième siècle, auquel l’Académie française a décerné l’hommage extraordinaire d’une récompense posthume, et qui vient d’être traduit en italien sous les auspices d’un des plus généreux citoyens de la péninsule, Gino Capponi.
  2. Ces Victoires écrivant sur des boucliers sont tout à fait analogues à l’admirable statue en bronze de Brescia, l’une des merveilles de la statuaire antique, sauf la différence qui existe entre un chef-d’œuvre et une monstruosité. Il est curieux de voir la même donnée reproduite par l’art dans sa perfection et par l’art déchu. Je saisis cette occasion de complimenter le conseil municipal de Brescia sur la belle disposition du musée national qu’il a établi dans les ruines du temple où la Victoire a été trouvée, et sur le bon goût qu’il a montré en laissant croître l’herbe, les fleurs, et une riante végétation entre les colonnes du temple. Cet exemple serait bon à suivre au Colisée.