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la rigueur du froid, on y aperçut des ossemens d’une grandeur si démesurée, que, sans leur forme, on n’aurait guère pu croire qu’ils eussent appartenu à un homme. Le bruit se répandit aussitôt dans le pays que c’étaient les os de Géryon, fils de Chrysaor. On croyait reconnaître son trône dans un rocher d’une montagne voisine taillée en saillie et ressemblant à un siège… » Comme Pausanias habitait l’Asie-Mineure, il devait être bien renseigné sur cette région. Or, d’après sa description, on ne peut douter qu’il soit ici question d’ossemens d’animaux fossiles. Aucune donnée scientifique n’est venue confirmer jusqu’à présent l’existence de géans d’une grandeur démesurée. Il devait être difficile aux anciens, peu expérimentés dans l’anatomie comparée, de distinguer des os appartenant à des membres humains ou à des animaux. Enfin les géologues n’ont encore vu des débris de l’homme dans l’intérieur d’aucune colline ; ces débris se trouvent toujours dans les dépôts superficiels.

Je n’ai plus qu’à résumer ces considérations. Les fouilles entreprises récemment dans l’Attique ont prouvé qu’au-dessous du sol superficiel, où l’archéologue recueille chaque jour de nouveaux objets intéressans pour l’histoire de la philosophie, des arts et de la littérature, se trouvent des couches profondes encore peu connues, mais non moins dignes de notre attention. Le géologue y découvre des fossiles, sortes de médailles du monde primitif qui nous permettent de prolonger l’histoire non plus seulement jusqu’aux temps des premiers hommes, mais aux temps mêmes où le Créateur constituait le globe terrestre, peuplant sa surface, puis détruisant ses animaux et ses plantes pour en créer d’autres, les anéantir et en faire encore de nouveaux, modifiant les limites de la terre ferme et des océans, tantôt formant de vastes continens, tantôt les abîmant sous les mers, élevant les montagnes ou les abaissant. On a pu voir quels événemens ont rempli dans l’Attique la période antérieure à l’apparition de l’homme ; on a pu voir aussi quel rapport unit ces obscures et lointaines périodes aux âges éclairés et animés par la présence de l’humanité. Les soulèvemens des montagnes de la Grèce, en se croisant, ont amené la formation de bassins séparés qui sont devenus le centre d’autant de petits états. C’est également par la configuration du sol que s’explique le caractère des habitans de la Grèce ; c’est grâce aux découpures de ce territoire qu’ils sont devenus marins ; c’est sur cette terre enfin si riche en marbres qu’a grandi une société qui devait porter le culte de l’art et le sentiment du beau plus loin qu’aucun autre peuple.


ALBERT GAUDRY.