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N’est-ce pas précisément là le reproche que lui adressent incessamment ses adversaires catholiques, quand ils soutiennent que, par les atteintes qu’il porte à l’unité et à l’autorité, le protestantisme rend la liberté trop périlleuse pour l’ordre, premier but et base essentielle de la société ? Pourquoi donc, dans trois états protestans, l’ordre et la liberté ont-ils si bien réussi à se concilier ? Pourquoi les bons élémens du protestantisme en ont-ils surmonté là les élémens dangereux ? Parmi les causes diverses de ce grand fait, une des principales, la principale peut-être, c’est qu’en Angleterre, en Hollande et aux États-Unis d’Amérique, la foi chrétienne s’est fortement maintenue et même développée à côté de la liberté politique. Je dis bien nettement la foi chrétienne, la ferme croyance aux dogmes fondamentaux du christianisme, et l’empire efficace de cette croyance sur la vie. Qu’avec un peu de clairvoyance et d’impartialité on visite l’Angleterre, la Hollande, les États-Unis ; qu’on pénètre un peu avant dans ces sociétés si diverses à tant d’égards ; qu’on leur tâte le pouls avec attention, comme à des êtres vivans : on sera frappé de la grande place qu’à travers les développemens de la civilisation et la variété des sectes a tenue et tient toujours là, dans les âmes et dans les mœurs, le christianisme dogmatique et pratique. Ces peuples sont à la fois devenus libres et restés chrétiens : preuve éclatante, parmi tant d’autres, que la religion sied bien à la liberté, et que l’autorité humaine se relâche d’autant plus aisément dans le monde social que l’autorité divine conserve mieux dans le monde moral son droit et sa force ; lieu commun sublime qu’on se contente trop souvent d’avouer du bout des lèvres, et qu’il faut avoir constamment présent à l’esprit quand on est appelé au difficile honneur de travailler à la fondation ou au maintien d’un gouvernement libre.

Ce serait, de la part des libéraux belges, une faute impardonnable de l’oublier un moment. Ils ont eu cette bonne fortune, que l’élément religieux, chrétien, catholique, a marché avec eux à la première conquête de la liberté ; ils ont encore plus besoin de son concours pour l’affermir et la conserver. Il leur en coûtera souvent des déplaisirs à surmonter, des ménagemens à garder, des sacrifices à faire : qu’ils n’hésitent pas ; qu’ils ne perdent pas de gaieté de cœur l’heureuse chance qu’ils ont obtenue à l’entrée de la carrière ; l’alliance chrétienne est pour eux la condition du bon et durable succès libéral.

Voici le second fait, de nature différente, mais non moins grave, que les Belges ont un immense intérêt à ne pas perdre de vue un seul jour.

La Belgique s’est affranchie elle-même ; mais elle avait besoin, absolument besoin que l’Europe acceptât et sanctionnât son indépendance. L’Europe l’a fait après de longues et difficiles délibérations :