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et toutes les vertus. Enrichissez-vous ! c’est le premier précepte du décalogue de la religion nouvelle dont les financiers sont les pontifes. Le monde aura alors tout ce qu’il désire, et par surcroît sans doute les cités de chemins de fer et les palais de famille !

L’Espagne est-elle entrée décidément dans une régulière et sérieuse voie de réorganisation constitutionnelle ? N’a-t-elle échappé à une crise violente de deux années que pour voir renaître dans d’autres conditions un état toujours incertain, toujours flottant, pour cheminer encore entre les réveils possibles d’une anarchie temporairement comprimée et les entraînemens d’une réaction à laquelle il est difficile d’assigner des limites ? C’est là le problème qui s’agite aujourd’hui au-delà des Pyrénées ; il est dans les faits, dans les discussions, dans les chambres, hors du parlement, un peu partout. L’état de la Péninsule a cela de singulier, que même après le rétablissement d’un ordre de choses légal rien ne semble définitif. D’où vient cette singularité ? Le trait le plus caractéristique de la politique espagnole en ce moment est moins peut-être dans cette prise d’armes révolutionnaire qui vient d’agiter l’Andalousie que dans la situation du ministère, placé au milieu d’un courant auquel il résiste souvent, auquel il est parfois aussi contraint de céder pour le retenir et le dominer, et qui peut conduire le pays on ne sait où. La session législative qui a commencé il y a deux mois, et qui est aujourd’hui provisoirement ajournée, ne laisse aucun doute sur le caractère difficile et complexe de cette situation. Lorsque le cabinet décrétait la convocation des cortès au mois de janvier de cette année, il laissait pressentir l’intention de proposer diverses mesures tendant à modifier quelques points de la constitution, notamment en ce qui concerne l’organisation de la première chambre. Cette pensée a été de nouveau exprimée dans le discours royal à l’ouverture de la session, et elle s’est bientôt formulée dans un projet de réforme qui a été récemment l’objet d’une longue discussion dans le sénat. D’après le nouveau système, la dignité de sénateur procéderait de la nomination royale, et dans ce cas elle serait viagère, ou bien elle serait inhérente à certaines situations, comme celles des capitaines-généraux de l’armée et de la flotte, des archevêques, du patriarche des Indes, des grands d’Espagne par droit propre, jouissant d’un revenu de 200,000 réaux en biens fonds, et ces derniers, par exception, auraient la faculté de transmettre leur dignité en établissant des majorais en faveur de leurs successeurs.

Le point saillant de la réforme, on le voit, est l’introduction de l’élément héréditaire dans le sénat. Il faut remarquer du reste que la disposition, telle qu’elle est formulée, ne peut avoir aujourd’hui qu’un effet très limité ; elle ne peut profiter qu’à dix ou douze grands d’Espagne, ce qui réduit singulièrement l’importance de cet élément héréditaire. Par lui-même, ce projet n’a donc rien d’exorbitant et qui porte atteinte aux conditions essentielles du régime constitutionnel ; seulement la discussion a rendu plus sensible ce fait qui domine l’existence politique de l’Espagne : c’est que cette mesure, aux yeux de certains hommes, dont M. Santiago Tejada s’est fait l’organe dans le sénat, n’est encore qu’une insuffisante concession aux idées de restauration monarchique ; c’est que dans le sein même du parti conservateur