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sorte, accomplis par nos soldats. Toutes les tribus kabyles sont successivement domptées. Bientôt toutes les parties de ce pays presque inaccessible auront été visitées et soumises, et l’œuvre de la politique sera de compléter alors la pacification imposée par les armes.

Conquêtes ou entreprises, mouvement d’expansion universelle ou révolutions économiques, notre siècle est à l’œuvre : il cherche, il s’agite comme devant le sphynx redoutable, il flotte entre le rêve des grandes choses qu’il poursuit et le sentiment croissant d’un malaise indicible qui l’aiguillonne, qui gagne et qui s’étend. C’est là, si l’on y songe bien, un des contrastes les plus curieux qui puissent s’offrir à l’esprit. D’un côté, il n’est pas de combinaison, si vaste qu’elle soit, qui puisse effrayer l’imagination ; il n’est pas de force qui ne se plie docilement à tous les usages. On perce les isthmes, on relie les continens. L’activité matérielle se multiplie, et notre temps, dit-on, marche dans la prospérité. Notre temps échappe un moment à ce beau rêve, et il se retrouve tout aussitôt, en tournant les yeux d’un autre côté, en présence des problèmes les plus élémentaires de la vie, qui ne se sont jamais offerts peut-être sous un aspect plus saisissant. Il s’agit de la nourriture du jour, du vêtement, du logement ; il s’agit pour les hommes de vivre strictement, rien de plus, rien de moins : c’est-à-dire qu’à travers ce phénomène de l’activité et de la prospérité publiques dont on parle, on voit apparaître cet autre phénomène de la misère des uns, de la gêne des autres, du malaise de tous, au milieu des conditions anormales d’un temps où il y a une sorte de lutte permanente entre les apparences et la réalité. De là, au courant de cette vie active et troublée, toute une littérature singulière qui s’inspire de ces préoccupations et de ces malaises d’un ordre matériel. Une littérature, c’est beaucoup dire peut-être ; il y a du moins une véritable ébullition d’esprits à la recherche de moyens merveilleux pour assurer aux hommes de meilleures conditions d’existence, surtout pour les loger, car la construction est décidément un des goûts de notre temps, le plus intense après celui de la démolition.

Les spécifiques se multiplient donc sous forme de brochures, et ils ne visent à rien moins, en vérité, qu’à réformer le monde sous prétexte de logemens. Quand le monde sera logé comme il doit l’être en ce siècle, tous les problèmes seront résolus, il n’en faut plus douter. C’est ce qu’on appelle la réforme architectonique. Il n’y a pas bien longtemps, si l’on s’en souvient, un réformateur pressé de sauver le monde se demandait pourquoi il y aurait des propriétaires à Paris, et il tranchait la question en quelques pages par la suppression de tous les propriétaires et par la création d’une gigantesque édilité dont les concierges seraient les fonctionnaires. Or voici une autre solution qui ne sera pas vraisemblablement moins efficace. Il s’agit tout simplement de la suppression des loyers par l’élévation de tous les locataires au droit de propriété. Comment cela arrivera-t-il ? direz-vous. Il suffit d’élever d’immenses constructions qui se seraient peut-être appelées autrefois des phalanstères, et qui s’appelleront aujourd’hui des palais de famille, où chacun trouvera un logement suivant ses ressources et deviendra propriétaire de son habitation après avoir payé un certain nombre d’annuités. Toute la question est là ; un élément nouveau de sociabilité est créé ;