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et des frénésies qui désolent le continent et qui menacent l’Irlande. Je n’ai aucune sympathie pour les Français et les Irlandais ; pour les Allemands et les Italiens, le cas est différent, leur cause diffère de celle des peuples précédens comme l’amour de la liberté diffère de l’amour de la licence. » Ainsi elle est exclusivement Anglaise ; elle n’a aucune des idées du jour, et si elle ne les heurte pas de front, si même elle a l’air de les accepter par momens, c’est par réserve naturelle, timidité et frayeur de la polémique.

Quelquefois cependant, lorsque les choses vont trop loin, elle éclate et dévoile sa véritable pensée. Passe encore pour la politique ou la pure philosophie, mais sur la question des croyances elle n’entend pas raillerie. Elle n’a pas de tolérance morale, et refuse absolument de sortir un seul instant du terrain du protestantisme. Elle est injuste jusqu’à l’amertume et jusqu’à la haine pour le catholicisme et tout ce qui touche au catholicisme. Mistress Gaskell, dont l’esprit est plus compréhensif, avait exprimé certains sentimens favorables aux catholiques ; Charlotte lui écrit : « Est-ce la connaissance de la famille de M. ***, qui a influencé vos sentimens relativement aux catholiques ? J’avoue que ce commencement de métamorphose de votre part me fait beaucoup de peine. Il y a d’excellentes et de vertueuses personnes, je n’en doute pas, parmi les romanistes ; mais ce n’est pas le système qui devrait exciter les sympathies d’une personne telle que vous. » Miss Kavanagh, dans son livre intitulé les Femmes de la Chrétienté, place la charité catholique au-dessus de la charité protestante ; à ce sujet, Charlotte fait cette observation, contestable peut-être, mais vigoureuse et propre à faire réfléchir : « Miss Kavanagh oublie ou ignore que le protestantisme est une religion plus calme, moins extérieure que le romanisme, et que de même qu’il n’habille pas ses prêtres d’étoffes voyantes, il ne donne pas ses femmes vertueuses pour des saintes, ne canonise pas leur nom, et ne proclame pas à tue-tête leurs bonnes actions. Peut-être dans les archives de l’homme ne trouverait-on pas leurs aumônes enregistrées, mais le ciel a ses archives aussi bien que la terre. » Quant aux doctrines d’athéisme qu’elle rencontre pour la première fois sur sa route, elle les regarde avec terreur comme on regarde un monstre inconnu. Voici son impression sur le triste et célèbre livre de miss Martineau et de M. Atkinson.


« 11 février 1851. — Mon cher monsieur, — avez-vous lu déjà le nouveau livre de miss Martineau et de M. Atkinson, intitulé Lettres sur la Nature et le Développement de l’Homme ? Si vous ne l’avez pas lu, il vaut la peine de vous occuper un instant.

« Je ne vous parlerai pas beaucoup de l’impression que ce livre a faite sur moi. C’est la première exposition d’athéisme et de matérialisme avoués que j’aie jamais lue, la première déclaration sans équivoque de non-croyance à