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que son mât de misaine, coupé à la moitié de sa hauteur, et sur lequel se débattaient depuis trois jours, au milieu des fureurs de l’ouragan, les débris du pavillon qu’on y avait arboré en signe de détresse. Poussé par la voile, le radeau commençait à s’éloigner lentement, comme un débris qui s’en va à la dérive. Ludolph, curieux de voir comment il naviguait, monta sur le tronçon du mât de misaine. Les regards qu’il portait d’abord en bas, à quelques centaines de mètres, se relevèrent bientôt jusqu’à la ligne d’horizon. Par un mouvement rapide, il arracha les restes du pavillon planté sur la tête du mât, et l’agita à tour de bras en s’écriant avec exaltation : Navire ! navire !

À ce cri de salut, les gens du radeau répondirent par un hourrah frénétique. Waliher tomba à genoux, Gretchen tressaillit et rouvrit les yeux ; le capitaine saisit sa longue-vue et dit : — Il vient, il vient sur nous, il nous a aperçus !

Le navire libérateur arrivait en effet toutes voiles dehors. Il se présenta bientôt à petite distance, sous la forme d’une noble frégate, leste dans sa marche, au cuivre luisant comme l’écaille de la dorade, aux larges flancs armés de cinquante bouches à feu. Les naufragés du radeau furent recueillis les premiers, puis on procéda au transbordement des quatre personnes qui demeuraient encore sur l’épave. Gretchen, soutenue par Ludolph, n’hésita point à passer sur le grand vaisseau avec son père. Celui-ci ne put retenir une larme de joie quand il vit sa fille revenue au sentiment de la conservation, premier indice d’un retour à la raison. Les officiers de la frégate déclarèrent unanimement que le capitaine de la Cérès, ayant accompli son devoir jusqu’au bout, était en droit de chercher son salut sur un autre navire. Ce ne fut pas sans un serrement de cœur que le vieux marin abandonna le dernier sa pauvre Cérès, qu’il avait longtemps dirigée à travers les orages d’un bord de l’Atlantique à l’autre. Toutefois il éprouva une consolation à son chagrin, quand il revit sur le pont de la frégate tous ceux qui s’étaient réfugiés par son ordre dans les deux canots et dans la chaloupe. Ces mêmes naufragés, rencontrés la veille au soir par le navire de guerre, l’avaient mis sur les traces de la Cérès, hâtant ainsi l’heure de la délivrance pour ceux qu’elle portait encore.

Max ne se laissa point voir, ni ce jour-là, ni les jours suivants. Il se disait malade et se tenait caché dans sa cabine. Lorsque la frégate débarqua son monde à Norfolk de Virginie, à l’entrée de la baie de Chesapeak, les émigrants se dispersèrent chacun de son côté. Le soir même, Max partit pour New York par la voie de Philadelphie.

Quelques mois plus tard, en descendant l’Ohio pour se rendre dans le Missouri, — où l’appelaient ses affaires de succession, —