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les lettres de Charlotte, et toujours accompagné de circonstances douloureuses. La bonne, la compatissante Charlotte finit elle-même par être fatiguée de ce spectacle navrant ; elle n’a plus le courage d’aimer ce frère autrefois adoré, elle n’a plus la force même d’avoir pitié ; son cœur est las.


« Nous avons eu de tristes embarras avec Branwell. Il ne pensait à rien qu’à noyer son désespoir et à oublier ses tourmens. Personne dans cette maison ne peut avoir de repos. Enfin nous avons été obligés de le faire partir pour une semaine, sous la garde de quelqu’un qui le surveillera. Il m’a écrit ce matin, et sa lettre exprime quelques sentimens de repentir… Mais je n’ose espérer la paix tant qu’il restera à la maison. Nous devons tous, je le crains, nous préparer à une saison de douleurs et d’inquiétudes. Lorsque je vous laissai la dernière fois, j’avais un vif pressentiment que le chagrin allait me rendre une nouvelle visite. »

« Août 1845. Les choses vont à la maison comme d’habitude ; elles ne vont pas bien relativement à Branwell, quoique sa santé et par conséquent son caractère se soient un peu améliorés depuis un jour ou deux, grâce à une abstention forcée. »

« 17 août 1845. J’ai tardé à vous écrire, parce que je n’ai pas de bonnes nouvelles à vous communiquer. J’ai peu d’espoir en Branwell. Je crains quelquefois qu’il ne soit plus bon à grand’chose. Le dernier coup qu’ont reçu ses sentimens et ses espérances l’a complètement stupéfié. Il n’y a que le manque absolu d’argent qui soit un frein pour lui. On doit à la vérité espérer jusqu’à la fin. C’est ce que j’essaie de faire, mais l’espérance dans la situation présente me semble parfois une pure duperie. »

« 4 novembre 1845. J’espérais pouvoir vous prier de venir nous voir à Haworth ; mais Branwell est encore à la maison, et tant qu’il y sera, vous ne pouvez venir. Plus je le vois, et plus je me confirme dans cette résolution. Je voudrais pouvoir dire un mot en sa faveur, mais je ne puis. Je suis forcée de retenir ma langue. »

« 31 décembre 1845. Vous dites justement, en parlant de ***, qu’il n’y a pas de souffrances pareilles à celles qui sont engendrées par le désordre. Hélas ! j’ai sous les yeux la preuve quotidienne de cette observation ; mais il semble dur en vérité que ceux qui n’ont pas péché soient obligés de souffrir autant. »

« 3 mars 1846. J’entrai dans la chambre de Branwell pour lui parler, une heure environ après mon retour : ce fut peine perdue. J’aurais pu m’épargner cet embarras : il ne fit pas attention à moi ; et ne me répondit pas ; il était stupéfié. Mes craintes n’étaient pas vaines. J’apprends que pendant mon absence il s’est procuré un souverain sous prétexte de payer une dette ; il est sorti immédiatement, a fait changer le souverain à la première taverne, et en a fait l’emploi que vous pouvez supposer. *** a conclu son rapport en disant que c’était un être désespéré, ce qui n’est que trop vrai. Dans son état présent, il est presque impossible de rester dans la même chambre que lui. Ce que l’avenir nous réserve, je ne le sais pas. »

« 31 mars 1846. Papa continue d’aller assez bien, sauf les fréquens chagrins