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vaudront mieux pour lui que n’ont valu pour Briolan les émotions incohérentes de ses voyages d’outre-mer. Voici une mer aussi, voici de vraies tempêtes, des batailles dans les rues, des aventures où une société entière est engagée, toute une réalité terrible et féconde. M. de Molènes y prit goût ; le tableau qu’il en a tracé ici même[1] est certainement l’une des œuvres les plus poétiques et les plus vigoureuses qui soient sorties de sa plume. En racontant les destinées de la garde mobile, M. de Molènes ne nous a pas seulement révélé toutes les vaillantes inspirations de son âme à une heure décisive ; il a écrit une page de la révolution de février, une page ardente, à la fois enthousiaste et satirique, une page qui fera partie de cette histoire, comme la Curée de M. Auguste Barbier appartient à l’histoire de 1830.

Ramené ainsi à la réalité, M. de Molènes y puise de nouvelles forces. Les affaires et les dangers de l’heure présente lui font oublier sans peine son fantasque tableau du XVIIIe siècle. Deux luttes, très différentes l’une de l’autre, mais également empruntées au monde réel, vont inspirer la verve du conteur. C’est le moment où l’esprit révolutionnaire fait apparaître sur le théâtre de la vie publique des types prétentieux et grotesques ; c’est aussi l’époque où, la garde mobile étant dissoute, les jeunes officiers de 1848 sont obligés de perdre leurs épaulettes, ou de les gagner une seconde fois. Cette condition n’effraya pas M. de Molènes ; il sentait que la vie militaire était sa vocation véritable. Capitaine baptisé par le feu, il redevint bravement sous-officier, et continua dans l’armée d’Afrique le noviciat commencé sur les barricades de juin. Ne croyez pas cependant qu’il renonce à sa plume ; la vie militaire est pour lui une des formes de l’art et de la poésie. L’action, loin de supprimer la rêverie, lui donnera une carrière et un but. Tout en se battant contre les Arabes, il prête l’oreille aux clameurs de Paris, et de cette même plume qui racontera la prise de Laghouat dans des pages où pétille la poudre, il trace maintes peintures satiriques de ce monde parisien qu’il a quitté. Tableaux de la vie militaire en Algérie, piquantes satires de la mêlée parisienne, tels sont les premiers produits de sa verve, une fois qu’il eut attaché à ses épaules le rouge bernous du spahi.

Ce brillant spahi de 1849 a-t-il toujours gardé la mesure dans ses attaques contre les avocats et les bourgeois ? Ce n’est pas là précisément la vertu du spahi. Ses railleries sont des charges à fond, ardentes, impétueuses, le sabre lançant des éclairs et frappant d’estoc et de taille. Il y a dans ces Caractères du Temps bien des pages que l’auteur ne signerait plus aujourd’hui : le Repentir de Figaro,

  1. Voyez la Revue du 1er novembre 1849.