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à son historien une admiration qui se trahit sans cesse. C’est un triste personnage à coup sûr : il souille à plaisir ces deux âmes, il ne recule ni devant le mensonge ni devant l’intrigue ; mais quel esprit ! quelle aisance ! Comme il manie sa fine épée de gentilhomme ! Avec quelle grâce il satisfait ses abominables caprices ! avec quelle sérénité souriante il sait affronter et recevoir la mort ! Le duel qui met fin aux exploits de M. de Rivolles semble être en vérité la scène importante du roman. « Mes amis, fit le chevalier, je meurs avec autant de sérénité que Bayard, quoique ma vie n’ait pas été la même que la sienne. Comme lui, j’ai vécu sans peur, et, pour ceux qui sont comme vous en état de me comprendre, sans reproche. » L’écrivain, on le sent trop ici, veut être rangé parmi les hommes qui sont en état de comprendre M. de Rivolles. Il comprend donc à la fois et les caprices de M. de Rivolles et le pur amour de George et de Cécile ; il aime également les héros de l’OEil-de-Bœuf et les héros de Shakspeare ; entre les cœurs blasés et les cœurs vierges, le jeune conteur est impartial.

Malgré la grâce de certains détails, cette impartialité n’était qu’une débauche d’esprit, et il y parut bien lorsque M. de Molènes, dans le second de ses romans, continua sa peinture du XVIIIe siècle. Je parle de Valpéri, création étrange où la poésie du mal s’accorde toutes les libertés. C’est le délire de l’impiété aristocratique. On dirait que l’auteur a voulu créer un type à la manière de Byron ou de Goethe, un Faust, un Manfred ; mais au lieu d’un sombre rêveur d’Angleterre ou d’Allemagne, son héros est un gentilhomme de Versailles ; au lieu d’un penseur qui souffre, c’est un écervelé qui s’amuse. Faust est tourmenté par le démon de la science, Manfred est en proie aux révoltes du doute : Valpéri est un don Juan contemporain de Voltaire et de Cagliostro. Qu’on se représente, s’il est possible, un mélange de Laclos et de Byron, les Liaisons dangereuses unies par instans à la poésie de Childe-Harold ; on aura une idée assez juste de cette singulière tentative. Au milieu des peintures lascives et des insolences mondaines, on aperçoit tout à coup les traces de cette espèce de superstition particulière aux sociétés impies. L’idéal, qu’on a outragé dans ses plus pures images, — la religion et la poésie, — se venge de ses profanateurs en leur envoyant maintes apparitions ridicules. L’auteur de Valpéri croyait encore très sincèrement à cette fantasmagorie qui joua un si singulier rôle aux dernières années du XVIIIe siècle. Il nous le dit lui-même avec une franchise intrépide : « Il a existé au sein du XVIIIe siècle, dans la société française, une source d’inspirations émouvantes et fantasques, qui vaut bien pour la poésie les ondes même du Rhin ; je veux parler de l’amour du merveilleux, de cette ardente curiosité des