Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de compte ! Parmi les peintres qui possèdent un talent réel, une imagination active, j’en pourrais citer plus d’un qui ne sait pas garder chez lui les ébauches qui plaisent à ses amis, et qui, dans l’espérance d’amorcer les amateurs, les envoie au salon. Quand on les blâme, quand on leur conseille de témoigner au public plus de respect, de ménager leur nom, ils prennent pour un signe de malveillance les paroles dictées par une sympathie sincère. Ils ignorent que la renommée, si difficile à conquérir, n’est pas moins difficile à défendre. Les plus habiles, les plus puissans, ont leurs jours de défaillance. S’ils veulent garder leur rang, ils doivent renoncer à montrer tout ce qui sort de leurs mains. Qu’ils s’entourent d’amis sévères au lieu de s’entourer de courtisans : leur nom, prononcé moins souvent, sera plus respecté.

Dans l’état présent des choses, notre devoir est de négliger, de traiter comme non avenues toutes les œuvres qui ne révèlent pas un effort sérieux. Il se trouvera, pour faire le recensement auquel nous renonçons, des hommes de bonne volonté. L’attente des peintres qui confondent l’art avec le métier ne sera pas trompée. Qu’ils ne se plaignent pas de notre silence ! Le public saura bien, sans que nous parlions, le nombre et le nom de toutes leurs œuvres. Nous accueillerons toujours avec empressement les talens nouveaux : c’est un plaisir pour nous de louer un mérite ignoré ; mais pour que les paroles se pressent sur nos lèvres, il faut que nous apercevions quelque chose de plus que l’habileté matérielle. Or c’est malheureusement ce genre d’habileté qui recommande la plupart des ouvrages devant lesquels s’arrêtent les spectateurs. Ils admirent de bonne foi ce que j’essaierais en vain d’admirer. Pour qu’un tableau m’intéresse, il faut que les personnages expriment un sentiment, une pensée. Une cuirasse qui reluit, un pourpoint aux couleurs éclatantes, ne suffisent pas pour enchaîner mon attention. C’est peut-être un défaut chez moi ; mais je suis habitué depuis si longtemps à chercher dans la peinture le sentiment et la pensée, que je désespère de changer. Ceux qui aiment les étoffes bien faites, les bahuts bien enfumés, diront que je suis vraiment à plaindre, que mon dédain pour ce genre de mérite me condamne à ne goûter que des œuvres bien peu nombreuses. Je n’oserais dire qu’ils se trompent. Cependant les compensations ne manquent pas. Ils sont contens plus souvent que moi ; mais, quand il m’arrive d’admirer, je suis dédommagé.

Je crains d’avoir fait un aveu imprudent. Je viens de confesser que l’admiration n’est pas chez moi une habitude. N’est-ce pas un motif suffisant pour qu’on me récuse ? Je ne veux pas me laisser condamner sans me défendre. L’admiration est une de mes plus