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Va, Judel, cherche-moi mes jupes, avant que mon mari revienne ; elles sont sur l’arbre près du pont de pierre…

« Mon grand-père jeta un cri et se sauva à toutes jambes. Il n’a raconté cette aventure à personne aussi longtemps que l’autre a vécu. Je suis sûr que tout cela est vrai, car mon grand-père ne mentait pas. »

Samuel se leva.

— Samuel, dit le maître de la maison, tu peux te vanter de nous avoir fait passer un fameux vendredi soir.

En ce moment, le coucou placé dans un coin de la salle sonna dix heures. Mon hôte à son tour se leva tout droit, comme mû par un ressort. — Mon cher ami, me dit-il, c’est l’heure du repos ; vous, devez être fatigué. La femme de samedi va vous éclairer et vous conduire dans votre chambre. — Puis, se tournant vers Samuel, il ajouta d’un ton moitié plaisant, moitié sérieux : Tu seras peut-être cause, toi, avec tes histoires de sorciers, que je ne pourrai dormir ; ça vous trotte toujours par la tête, et on fait de mauvais rêves. À propos, si je ne te vois pas d’ici là, ne manque pas de venir mardi matin à dix heures pour me faire la barbe avant notre départ pour la noce.

Le lendemain, on se leva de bonne heure pour aller au temple. L’office du matin et le dîner achevés, — on dîne à midi, — je fis mes visites aux parens et aux amis de mon hôte, qui, bien entendu, m’accompagnait dans ma tournée, ainsi que sa femme. Le père Salomon, les mains posées à la hauteur du diaphragme et béatement enfoncées dans les longues manches de sa redingote bleue, nous fit descendre le village de ce pas lent et solennel que l’israélite de la campagne affecte particulièrement le samedi et les jours de fête. Notre première visite fut pour l’oncle Jekel. Nous trouvâmes réunie chez lui toute la verte et gaillarde jeunesse de l’endroit, fêtant assez bruyamment la Spinnholtz. On appelle de ce nom une sorte de gala donné par le fiancé à ses camarades dans l’après-midi du dernier samedi qui précède son mariage. C’est là comme un adieu fait à la vie de garçon. La fiancée, de son côté, doit le même tribut à ses amies, et il est hors de doute qu’en ce moment, à Wintzenheim, la fille du digne parnass faisait la même politesse à la jeunesse féminine du lieu. L’oncle Jekel, comme mon hôte l’avait prévu, m’invita à la noce en insistant de la façon la plus cordiale. Je n’eus garde de refuser, et le reste de la journée se passa à visiter le hameau.

À notre retour, nous trouvâmes une vingtaine de personnes établies chez le père Salomon et devisant bruyamment entre elles, tout en regardant de temps à autre par la fenêtre pour voir si l’étoile du soir était ou n’était pas encore montée au ciel. C’étaient quelques fidèles qui avaient l’habitude de venir en hiver, parfois le vendredi