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et secoués par le vent d’automne. Pareils à des points blancs, les goélands s’abattaient, en planant, jusqu’au fond des vagues immenses creusées comme des vallées profondes pour remonter à tire-d’aile et folâtrer dans l’air. Il y avait dans le cri strident de ces oiseaux comme l’écho d’un rêve lugubre ; ils se jouaient de la tempête, et tournaient d’un vol libre et gracieux autour des vergues, qui se penchaient sur l’abîme à chaque nouvel assaut livré par la mer au navire fatigué. Sur le pont résonnait déjà le bruit saccadé des pompes que manœuvraient par escouades deux groupes de matelots. Max essaya de prendre part à ce pénible travail. Contraint de se retirer après quelques minutes, il sentit bien vite que ses mains délicates, habituées à tenir une plume et à feuilleter des livres, ne pouvaient en aucune manière s’associer aux efforts de ces rudes travailleurs. Les matelots levèrent les épaules en le voyant quitter si vite la besogne et s’essuyer le front ; mais quand Ludolph vint relayer son compagnon de voyage, quand il appuya son bras vigoureux sur le lourd balancier de la pompe, ils poussèrent un cri de joie. Ils venaient de reconnaître instinctivement qu’il y avait à bord un homme de plus, un homme intelligent et énergique, habitué aux rudes labeurs, et capable de donner, avec un bon coup de main, un excellent conseil.

La nuit fut mauvaise, et elle parut longue à tous ceux que portait la Cérès. Tenus en éveil par le tangage incessant du navire, les passagers entendaient avec terreur la vague mugir autour d’eux ; les matelots, obligés de travailler aux pompes, pouvaient à peine goûter quelques instants d’un repos troublé par l’impétuosité des lames, qui, en retombant sur le pont avec fracas, ébranlaient le bâtiment jusqu’à la pointe de ses mâts. Au jour, Walther se risqua à gravir l’escalier ; sa fille le suivit, n’osant rester seule dans sa cabine. Le spectacle qui s’offrit à leurs yeux n’avait rien de rassurant. L’horizon ne s’étendait pas au-delà de deux ou trois vagues : se dressant avec une rapidité effrayante, elles semblaient s’écrouler sous la violence du vent, et se gonflaient de nouveau, écumantes, brisées à leur sommet, retentissantes comme ces foules de peuple d’où s’élèvent mille clameurs et mille menaces. Max se tenait blotti en un coin de la dunette. Son imagination vagabonde l’emportait plus loin qu’il ne l’eût désiré ; comme le navire, elle flottait ballottée par la tempête, et il ressentait de vives angoisses. En apercevant Gretchen, il essaya de rappeler le calme dans son esprit.

— Voilà de rudes journées à passer, monsieur Walther, dit-il. Dans des moments comme ceux-ci, on a le cœur serré ; on a beau se chercher soi-même, on ne se retrouve plus, et puis, vienne le beau temps, on recouvre sa gaieté, sa confiance dans le lendemain, et tout est