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métaphysiques, des doctrines bizarres, de la thaumaturgie, en un mot de toutes ces spéculations sophistiques si courues au-delà des mers, et qui passaient en-deçà pour curiosité irreligieuse et condamnable. Suivant l’usage des nobles byzantins, il entretenait dans sa maison, parmi ses cliens et ses parasites, de graves représentans des sciences à la mode, philosophes à longue barbe ou à besace, rhéteurs, sophistes, hérésiarques chargés de disputer devant lui et de traiter pour son agrément toutes les questions accessibles à l’esprit humain. Deux surtout qui possédaient son affection particulière, mais qu’il eût dû prudemment laisser à Constantinople, vinrent s’installer avec lui au palais des césars. L’un était un sophiste nommé Sévère, pour lequel il s’engoua jusqu’à le faire consul en 470 ; l’autre était chrétien, mais de l’hérésie de Macédonius, et s’appelait Philothée. Ces deux hommes ayant exercé par leur présence ou par leurs actes une influence fâcheuse sur la popularité d’Anthémius, je dois en dire quelques mots.

Sévère, né dans la ville de Rome, l’avait quittée fort jeune pour aller étudier en Orient les sciences occultes, honorées alors bien gratuitement du nom de philosophie. Alexandrie était le foyer principal de ces folles spéculations ; il s’y fixa. Le disciple devint maître, et sa maison, remplie de livres et de curiosités naturelles ramassées de toutes parts, fut visitée par les thaumaturges de tous les pays. Il y vint jusqu’à des brahmes de l’Inde, qui pratiquèrent chez lui, à la grande stupéfaction des Égyptiens, les rites étranges et les austérités plus bizarres encore en usage près du Gange et de l’Indus. Sévère avait adopté pour monture un cheval dont le poil jetait de grandes étincelles quand on le frottait, et qui passait pour merveilleux. Cette recherche des choses extraordinaires dénotait habituellement un païen livré à la magie, et en effet Sévère était païen. Lorsqu’Anthémius l’eut amené à Rome, le thaumaturge se mit à exposer, sous l’autorité du prince et avec une liberté qui n’existait pas en Italie, les doctrines mystérieuses où se réfugiait le polythéisme expirant, ce qui accrédita le bruit que l’empereur lui-même était païen, ou du moins penchait secrètement vers l’ancien culte, et qu’il voulait se servir de Sévère pour restituer à la ville du Capitole sa splendeur passée, avec sa religion abolie. Voilà ce qu’était l’hôte favori du palais d’Anthémius.

Philothée, chrétien, comme je l’ai dit, appartenait à l’école subtile des pneumatomachiens, branche éloignée de l’arianisme, qui considéraient le Saint-Esprit comme une énergie divine répandue dans l’univers, et non point comme une personne distincte du Père et du Fils : hérésie frappée d’anathème en 381 parle concile de Constantinople, mais professée toujours en Orient comme doctrine philosophique.