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qui était comme une première marque de la reconnaissance du roi, un premier acheminement vers une paix que les Vandales semblaient souhaiter avec ardeur. Basilisque se souvint des instructions d’Aspar, et l’armistice fut conclu.

Basilisque passa les cinq jours de trêve dans la plus complète inaction, jouissant d’avance d’une victoire qui lui coûtait si peu, et se proposant de ménager encore Genséric dans le débat des conditions de la paix. Étudier le pays, se mettre en relation avec les habitans, il n’y songea plus. S’il s’enquit du sort d’Héraclius et de sa division, on l’ignore ; mais assurément il ne chercha pas à savoir ce qui se passait du côté de Carthage, car la moindre information à ce sujet l’eût tiré de sa quiétude. Il était en effet question, dans la grande métropole des possessions vandales, non de soumission, mais d’attaque. Genséric réparait à force ses navires, disposait des brûlots, ramassait dans cette intention les moindres barques de la côte, armait tous ses sujets vandales ou maures, et la confiance qu’il avait recouvrée lui-même par le succès de sa ruse animait jusqu’au dernier de ses soldats. Habile à prévoir les variations de temps ordinaires dans ces parages, il avait calculé que la direction du vent, jusqu’alors favorable aux opérations d’une flotte venant sur Carthage, ne tarderait pas à changer au désavantage des Romains, qui étaient à l’ancre dans une crique peu spacieuse et mal garantie. Sa prévoyance ne fut pas trompée. Dans la cinquième journée de la trêve, le vent changea brusquement, et se mit à souffler avec force de Carthage sur le promontoire de Mercure. Aussitôt le roi vandale fit appareiller, et à la tombée de la nuit il sortit du port avec deux flottes, la première de vaisseaux de haut bord, bien fournis d’armes et garnis de troupes, la seconde de petits navires et de barques sans équipage et remplis de matières combustibles, l’une remorquant l’autre. Ils s’avancèrent ainsi avec précaution et dans le plus grand silence comme pour une surprise, précaution d’ailleurs superflue, car Basilisque n’avait ni vedette de terre, ni garde de mer, et quand les Vandales approchèrent du port de Mercure, l’armée romaine, campée sur ses vaisseaux, était plongée dans le sommeil.

Au signal donné par Genséric, la flotte vandale se range en demi-cercle, et les brûlots, détachés de leurs amarres, sont livrés à la mer et aux vents qui les portent sur la flotte romaine. Les premiers vaisseaux atteints par le feu le communiquent aux autres ; les voiles et les cordages s’enflamment, et la lueur d’un immense incendie éclaire tout à coup le golfe et la pleine mer. Cette lueur sinistre tire les Romains de leur assoupissement. En un instant, les ponts sont encombrés par une foule désordonnée ; on se presse, on se heurte, des cris de surprise et d’épouvante se mêlent au sifflement du vent