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premier désir des deux empires fut de s’affranchir de la dépendance de Genséric, qui, avec la connivence de Romains encore plus odieux que lui, pouvait empêcher tout ordre, tout gouvernement de s’établir en Occident. Léon aurait tenté seul et pour son compte une descente en Afrique, si le bon accord renaissant entre les deux empires et l’amitié personnelle d’Anthémius ne lui eussent assuré le concours de l’Occident.

On prépara donc en commun une expédition dans laquelle naturellement le premier rôle appartint à l’empire d’Orient, comme au plus riche, au mieux fourni de vaisseaux et de soldats et à celui qui avait eu l’idée de la guerre. À l’aspect des arméniens qui s’exécutaient de toutes parts, on ne craignait pas de proclamer cette expédition la plus formidable qui eût jamais paru dans les eaux de la Méditerranée. En effet, au jour marqué pour le départ de la flotte orientale, le port de Constantinople, réputé le plus vaste de l’ancien monde, réunissait onze cent treize navires de haut bord, montés par sept mille marins et disposés pour recevoir, soit immédiatement, soit en route, à des stations déterminées, une armée de plus de cent mille hommes. Quarante-sept mille livres pesant d’or venant des contributions publiques, dix-sept mille tirées de l’épargne du prince et sept cent mille livres d’argent étaient destinées par Léon aux dépenses de la campagne : le gouvernement occidental, suivant toute apparence, devait pourvoir aux frais de sa flotte et de son armée. Ce ne fut pas tout : Léon eut l’habileté d’intéresser le petit état de Dalmatie à une entreprise que ne pouvait répudier sans crime et sans honte aucune province de l’empire, fut-elle actuellement séparée, si elle avait conservé dans sa scission le moindre sentiment romain.

L’histoire de ce petit état, démembré de la Romanie occidentale, est assez curieuse et mérite que nous en parlions quelques instans. Durant les troubles qui suivirent en Italie la mort d’Aétius, un des officiers dévoués à ce grand général, Marcellinus, dont il a été déjà question, secouant l’obéissance de Valentinien qu’il ne voulait plus servir, se retira en Dalmatie et entraîna cette province dans sa révolte. On ignore quel lien existait entre Marcellinus et la Dalmatie, s’il était lui-même Dalmate, s’il avait administré le pays comme gouverneur militaire, ou si sa renommée seule lui avait attiré le dévouement d’une nation belliqueuse et fière, car Marcellinus joignait à la droiture du caractère les talens d’un général consommé, et beaucoup d’Occidentaux voyaient en lui le vrai successeur d’Aétius. Sous ce chef habile et résolu, la Dalmatie, séparée de la communauté romaine et constituée en état indépendant, sut se faire respecter de son ancienne métropole. Cet homme, en révolte contre le gouvernement de l’Italie,