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des archives de la maison d’Orange. Bilderdijk réunit les cahiers de ses cours, et céda, dès 1832, son travail remanié à M. Tydeman, le vénérable professeur que j’ai visité à Leyde. M. Tydeman ne commença la publication de cette histoire qu’après la mort de l’auteur : il y ajouta des notes savantes, des explications, le tout formant treize volumes. La manière dont Bilderdijk envisage et présente les faits racontés avant lui par Wagenaar froissa bien des opinions reçues ; ce fut toute une levée de boucliers. Il se forma ainsi deux écoles, dont l’une continuait de s’appuyer sur l’autorité de Wagenaar, et dont l’autre tenait pour Bilderdijk. Le professeur Siegenbeek se constitua le défenseur du vieil historien profané. Des voix s’élevèrent du camp opposé ; la lutte continua et continue encore avec une extrême ardeur, car la publication posthume de l’ouvrage de Bilderdijk vient seulement de finir.

Il faut dire un mot des opinions de l’historien pour expliquer le tumulte des esprits auquel donna lieu cette discussion littéraire. Bilderdijk était ultra-monarchique : son idéal était l’ancien état féodal tel qu’il avait existé dans les Pays-Bas sous les anciens comtes, souverains de fait, mais non absolus. Ces idées dominent dans son livre : de là un esprit de dénigrement systématique contre Oldenbarneveldt, les frères de Witt et tous les hommes d’état qui ont lutté contre le stadhoudérat. Bilderdijk avait été proscrit par le parti anti-stadhoudérien, et les animosités politiques ou religieuses étaient vivaces dans le cœur du poète. On ne peut du moins s’expliquer autrement ces diatribes amères, ce ton militant et dogmatique, dont s’arrangent les sectaires, mais qui conviennent si peu à l’historien. La lecture de ces pages, quelquefois éloquentes, fait naître une impression pénible : je regrette pour mon compte de voir un esprit distingué, mais chimérique, s’égarer violemment dans les rêves du passé, et chercher parmi des ruines, souvent même au milieu des ténèbres de l’ignorance, le type d’une société dont les esprits ne voulaient déjà plus au XVIe siècle. Tel qu’il est, l’ouvrage de Bilderdijk n’en doit pas moins être consulté par quiconque veut s’initier aux annales de la Néerlande ; il a d’ailleurs rendu des services, il a fait naître la critique historique. L’admiration exclusive de Wagenaar avait posé des bornes à l’examen des faits et à l’esprit de curiosité ; ces bornes, on ne pouvait les renverser « qu’en déclarant, comme dit M. Groen van Prinsterer, une guerre à mort à cette histoire stéréotypée qui avait pris possession des esprits[1]. » Depuis ce temps-là, grâce à la publication de nombreux documens, l’horizon historique s’est élargi ; on a défriché le vaste champ des

  1. Les Archives de la maison d Orange.