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Dans ces derniers voyages, en 1854 et 1855, Wahlberg avait tué trente-six éléphans. Celui-ci avait, cela est sûr, beaucoup de ses frères à venger.

A. GEFFROY.

UNE NOUVELLE RÉFUTATION DE KANT.

Voici une étude sur Kant[1] qui, même après les travaux de M. Cousin et de M. de Rémusat, de M. Wilm et de M. Barni, mérite de fixer l’attention des penseurs. Elle se recommande surtout par l’élévation des sentimens qui l’ont dictée ; l’auteur, M. Maurial, professeur à la Faculté des lettres de Rennes, a compris que l’absence de principes était un des plus tristes fléaux de ce temps-ci, et il s’attaque à l’illustre philosophe de Kœnigsberg comme au plus grand, au plus profond, au plus dangereux représentant du scepticisme. Jusqu’ici on s’est plus appliqué à comprendre le système de Kant qu’à le réfuter. Je ne veux pas dire assurément que M. Cousin et M. de Rémusat, M. Wilm et M. Barni, n’aient pas adressé à la philosophie critique de très sérieuses objections : on ne peut nier toutefois que leur principal objet n’ait été de faire connaître à la France la signification véritable et la portée de cette philosophie. La pensée de Kant est si subtile, sa dialectique si hardie, l’enchaînement de ses formules si serré, sa langue si abstraite et si bizarrement scholastique, qu’il a fallu bien des efforts pour en pénétrer le sens. Les Allemands eux-mêmes n’ont pas la prétention d’avoir complètement réussi dans cette tâche ; il y a encore maintes parties du système dont l’interprétation donne lieu à de vifs débats chez nos voisins. M. Erdmann n’expose pas le système de Kant comme M. Kuno Fischer ; M. Fischer n’admet pas toutes les explications de M. Rosenkranz. Comment s’étonner du long travail qu’a exigé la traduction de Kant en français ? Traduire Kant en français, ce n’est pas seulement trouver dans notre idiome l’équivalent de ses formules, c’est saisir sa pensée, la dégager de son enveloppe, la rendre claire et intelligible pour tous là où il s’est contenté de se comprendre lui-même. Grâce à quelques esprits persévérans, ce travail est en bonne voie chez nous ; je crois pouvoir dire cependant qu’il est loin d’être terminé, et il est tout naturel qu’avant de discuter une telle doctrine, on essaie de l’embrasser tout entière. L’intérêt du travail de M. Maurial, c’est qu’il donne à la fois et une exposition nouvelle de Kant et une réfutation de ses principes.

On sait quelle est l’opinion généralement admise sur le système de Kant : c’est un scepticisme, mais un scepticisme d’une nature toute particulière, ou plutôt il faut y distinguer deux choses fort différentes, l’inspiration de l’auteur et le résultat auquel il est conduit. Si l’on n’examine que l’intention de l’auteur, c’est-à-dire l’inspiration philosophique et morale qui a soutenu ses recherches, on ne peut méconnaître les services que le sage de Kœnigsberg a rendus à la pensée humaine ; il a proclamé plus haut que personne le droit

  1. Le Scepticisme combattu dans ses principes. Analyse et discussion des Principes du Scepticisme de Kant, par M. Emile Maurial, Paris 1857.