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avec une caisse d’un mètre de large sur cinq ou six de long, le train de derrière restant fixe, mais celui de devant pivotant sur une forte cheville. Toutes les pièces sont maintenues simplement par des chevilles de bois et par des lanières de cuir ; en effet, les chutes et les chocs étant extrêmement fréquens à cause des effrayantes inégalités du sol, les crampons et les écrous en fer mettraient en pièces les parties principales, se briseraient eux-mêmes, et le voyageur, qui trouve partout du bois et du cuir, ne saurait, sans une forge et tout un lourd appareil, comment les réparer. D’ailleurs la nécessité de démonter souvent l’édifice pour le passage de rivières, de ravins ou de gorges difficiles, donne encore un avantage à cette construction facile et commode. Au-dessus de la caisse s’arrondissent quinze cerceaux réunis par des bambous servant de traverses et revêtus d’une forte toile imperméable. Aux parois sont suspendus les principaux ustensiles, boîtes à feu, vaisselle et provisions légères, sucre, café, etc. Par derrière, on voit pendre les pots en fer, les marmites, les casseroles, une petite provision de bois sec. Le lit, c’est-à-dire un cadre de bois sur lequel sont tendues, en se croisant, plusieurs courroies, et qu’on recouvre de peaux de moutons ou de paillasses bourrées de plumes, est un objet de luxe que les riches boers se permettent seuls, et qui n’est pas fait pour les naturalistes. Ceux-ci réservent la meilleure place pour l’esprit-de-vin, les flacons, les scalpels, la poudre et les fusils. Outre le fusil ordinaire, il leur faut, dans ce pays des grandes chasses à l’hippopotame, au rhinocéros et à l’éléphant, un fusil d’un grand calibre que le chasseur appuie d’ordinaire, pour le tirer, sur l’épaule d’un servant, mais que Wahlberg, vigoureux autant qu’adroit, savait manier et tirer seul. Nous aurons décrit tout le chariot avec son entier appareil, si nous mentionnons encore, suspendus sous la caisse même, le sabot de fer ou de bois, indispensable dans les longues descentes, et surtout le pot à goudron, puisqu’il y aurait grand péril d’incendie à laisser passer deux jours sans graisser les boîtes des roues, et qu’un incendie dans les parties résineuses des forêts serait comme on pense, un épouvantable danger. Mais quel attelage pourra déplacer, ni trop lentement ni trop vite, cette grande machine, chargée quelquefois de trois et quatre mille livres, à travers un pays sans routes, au milieu des montagnes et des rocs, sur des cascades de pierres, dans des rivières aux sables mouvans ? — On emploie pour cet usage les bœufs à longues cornes divergentes qui abondent dans le pays. Il en faut pour un chariot ordinairement dix-huit, quelquefois vingt-quatre. Chaque paire est distribuée des deux côtés d’une longue lanière attachée à l’extrémité du timon. Les deux timoniers doivent être les deux bêtes les plus intelligentes de l’attelage ; il faut qu’ils sachent contre-tenir dans les descentes trop rapides. Le conducteur dirige du chariot même où il est assis, et son adressa consiste à avertir énergiquement, avec le long fouet dont il est armé, chacun des bœufs de son attelage.

Nous ne saurions avoir le dessein de retracer ici tout l’itinéraire de Wahlberg. Qu’il nous suffise de dire qu’il parcourut tout le pays au nord de la colonie du Cap et à l’ouest de Port-Natal jusqu’au lac N’Gami, cette conquête toute moderne de la science géographique, dont il approcha dans sa première campagne et qu’il atteignit dans la seconde, pendant ses deux dernières