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la forme humaine comme on se plaît à le faire. Tant que les femmes s’habilleront comme elles s’habillent aujourd’hui, leurs colliers et leurs bracelets seront aussi absurdes que leurs vêtemens. On peut prouver, l’histoire à la main, que l’alliance de l’art et de l’industrie n’a pas toujours été une chimère ; mais la preuve une fois donnée, on doit se demander dans quelles conditions cette alliance s’est établie, dans quelles conditions elle s’est maintenue. Quand le vêtement enveloppait la forme humaine sans la déguiser, quand la foule puisait dans les habitudes de la vie la notion de l’élégance et de la beauté, le luxe n’avait rien de singulier ; les artistes composaient pour l’industrie des modèles qui n’étonnaient pas, mais qui charmaient. Leur avis était accepté sans résistance, et l’industrie s’empressait d’obéir. Plus tard, quand la forme des vêtemens fut altérée, sous le Bas-Empire, l’industrie prit le dessus, l’autorité de l’art fut méconnue, et le luxe devint bizarre ; on se complut dans les lignes tourmentées. Les modes d’aujourd’hui ne sont pas moins ridicules que les modes du Bas-Empire ; aussi ne faut-il pas s’étonner que les bijoux manquent de simplicité.

Si la démonstration théorique ne suffisait pas, j’invoquerais les souvenirs de ceux qui ont vu des bijoux dans le goût de Pompéi portés par des femmes de notre temps. On trouve à Naples des ouvriers habiles qui copient très fidèlement les modèles antiques. Eh bien ! ces modèles, qui excitent notre admiration dans le musée des Studj, nous étonnent sans nous plaire quand ils sont placés sur le cou, sur le bras d’une femme vêtue selon la mode de nos jours. La vérité se réduit à ces termes. Le génie des artistes, dans le premier siècle de l’ère chrétienne comme aux beaux temps de la Grèce, réglait la forme des vêtemens, et le goût public, formé par la contemplation habituelle d’un ensemble de lignes élégantes, maintenait l’autorité des artistes. Aujourd’hui le plus grand nombre des esprits ne possède sur la beauté que des notions confuses ; aussi l’autorité des artistes est souvent méconnue, et leurs conseils les plus sages sont traités comme de purs caprices. Les plus étranges inventions sont acceptées et prônées comme des merveilles. N’avons-nous pas vu des femmes — qui se donnaient pour des types d’élégance — porter à leur ceinture des cathédrales en or émaillé ? Ces bijoux ridicules se vendaient très cher, l’admiration se mesurait à la dépense, et l’on était mal venu à s’en moquer. On avait créé pour cet absurde enfantillage un terme pompeux et barbare : cela s’appelait bijou d’art pour les profanes ; dans la langue usuelle, c’était une châtelaine. Les fabricans avaient devancé le vœu de M. de Laborde ; mais comme l’industrie n’oublie jamais son but, le gain, pour produire sans trop de frais ces joujoux dont les femmes s’amusaient, elle partageait le travail entre plusieurs mains. Et je ne parle pas