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d’autrefois un regard de remords et de honte, et se résolut à vaincre ; mais la victoire lui coûta cher. Elle ne fut heureuse que lorsqu’elle put transporter sa science durement acquise dans l’obscur petit village anglais, le vieux presbytère et les collines désolées du Yorkshire. »


L’occasion de revoir ces collines si désirées se présenta bientôt, inattendue et sinistre. Charlotte et Emilie reçurent la nouvelle de la maladie de leur tante. Elles s’embarquèrent à la hâte, et trouvèrent à leur arrivée Anne et M. Brontë assis seuls et silencieux en face l’un de l’autre.

Quelque temps après leur retour, M. Brontë reçut une lettre de M. Héger. Ce dernier déplorait en termes sympathiques que des circonstances malheureuses eussent interrompu les études de Charlotte et d’Emilie, et offrait de les recevoir comme sous-maîtresses dans son pensionnat. La mort de miss Branwell laissait vide une place au foyer, et Anne était obligée d’aller reprendre ses fonctions de gouvernante. Emilie saisit donc avec un empressement un peu égoïste cette occasion de ne pas s’éloigner de ses chères bruyères. Charlotte partit seule au commencement de 1843. Pendant tout le cours de l’année, elle ne sentit pas trop, grâce à ses occupations, le poids de la solitude : « Je vis ici comme une manière de Robinson Crusoë, écrit-elle à Emilie, mais peu importe. » La saison des vacances fut pour elle une rude épreuve. Elle avait pour unique société une institutrice française qui lui avait toujours été antipathique, et dont elle s’éloigna avec épouvante, lorsqu’elle connut les principes qui gouvernaient sa conduite. Alors, opprimée par la solitude, fuyant la compagnie de sa perverse collègue, elle sortait, parcourait fiévreusement les rues et les boulevards, marchait tout le long du jour aussi loin que possible du pensionnat, et allait au cimetière rendre une visite au tombeau de la petite Marthe, morte l’année précédente. Une nostalgie violente s’empara d’elle. Le continent et le catholicisme lui faisaient de plus en plus horreur. « C’est dimanche matin, écrit-elle un jour, ils sont à leur messe idolâtre, et moi je suis seule ici dans le réfectoire. » Elle exprimait hautement sa haine pour le catholicisme, circonstance qui lui valut l’antipathie des personnes dont elle dépendait, et qui avaient été d’abord bienveillantes. M. Héger était un fervent catholique, Mme Héger était dévote, et de jour en jour elle devint plus froide envers Charlotte. En même temps de mauvaises nouvelles arrivaient d’Haworth ; la vue de M. Brontë baissait sensiblement, et on craignait une cécité prochaine. La conduite de Branwell, qui d’année en année s’était singulièrement relâchée, devenait alarmante. Charlotte prit congé de M. et de Mme Héger. Après son retour, l’ancien projet de fonder un pensionnat fut de nouveau discuté ; mais il ne fallait pas songer