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semblent s’être unies sans se contrarier et s’être mêlées par leurs côtés semblables. Il avait la violente impétuosité du sang celtique et la tenace opiniâtreté du caractère saxon. Sa violence était muette, et ses excentricités cherchaient la solitude. Pour faire passer sa colère, il avait l’habitude de tirer un nombre illimité de coups de pistolet sur les bruyères qui s’étendaient derrière sa maison. C’était là le calmant ordinaire, mais il en avait d’autres plus baroques et moins sinistres ; par exemple, il jetait au feu un tapis, et le regardait brûler sans se soucier de la mauvaise odeur qu’il répandait, ou bien il sciait le dos des chaises et les réduisait à l’état d’escabeau. Il était grand marcheur et faisait de longues promenades, solitaire et toujours armé. Il avait contracté cette dernière habitude depuis l’époque de ces grèves d’ouvriers où nous avons rencontré M. Roberson jouant un rôle si énergique. Comme lui, M. Brontë avait pris parti contre les insurgés, et par suite, étant devenu impopulaire, il avait jugé prudent de ne plus sortir sans pistolets. Du reste, sa conduite dans ces querelles entre maîtres et ouvriers avait été dictée par un mobile plus moral que politique, car quelques années après une grève ayant eu lieu, M. Brontë jugea que cette fois les ouvriers avaient raison, et les aida de tout son pouvoir pour faciliter leur résistance et les empêcher de tomber dans l’abîme des dettes. Les manufacturiers, ses voisins, lui firent des remontrances ; il n’en tint compte, et persévéra dans ce qu’il regardait comme juste. Ses opinions étaient d’ailleurs aussi violentes que ses habitudes, et avaient toute la force despotique des préjugés. Il les imposait aux autres aussi fortement qu’elles s’imposaient à lui. Atteint de bonne heure d’une maladie intestinale, il prit l’habitude de dîner seul. Ses idées sur l’éducation étaient toutes stoïques ; il faisait régner sur sa famille la tyrannie des lois somptuaires. Il ne voulait pas que ses enfans prissent plaisir aux choses de la table ou du vêtement. Leurs repas étaient pleins de frugalité, et se composaient surtout de légumes ; leurs vêtemens étaient plus que simples. Un jour que les petites Brontë devaient aller à une promenade, leur bonne avait placé près du foyer toute une rangée de jolies petites bottines qui leur avaient été données en présent. M. Brontë entre, aperçoit ces objets de luxe corrupteur et les jette au feu. Sa femme avait reçu en présent une robe de soie qu’elle ne portait jamais, et qu’elle gardait sous clé dans un de ses tiroirs. Un jour elle entend M. Brontë qui marchait dans sa chambre, et, se rappelant qu’elle avait oublié la clé de son armoire, elle monta précipitamment. Il était trop tard, la robe de soie était en lambeaux. Il ne faudrait pas conclure de ce fait que M. Brontë fut un tyran domestique ; cet homme violent était tendre pour les siens, bon père et bon époux. « Ne dois-je pas être reconnaissante