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affreux. Ah ! ces vagues-là, voyez-vous, cela ne plaisante pas ! Il y en a qui sont hautes comme votre maison.

Gretchen, qui tenait le bras de son père, fit un mouvement d’impatience que Ludolpl prit pour un geste d’effroi.

— Oui, continua-t-il, plus hautes que votre maison ; mais, bah ! on s’y fait. Dites-moi, monsieur Walther, est-il vrai que vous avez vendu votre petit bien le double de sa valeur ? C’est une fameuse affaire, et j’en suis bien aise pour vous.

— Je l’ai vendu ce qu’il vaut, ni plus, ni moins, répliqua Walther ; puis, sans en attendre plus long, il continua son chemin, tandis que Ludolpli passait sa main dans son épaisse barbe, aussi rousse que l’herbe brûlée par le soleil d’août, et le regardait s’éloigner en disant à demi-voix : — Il n’est pas en humeur de plaisanter aujourd’hui, le père Walther !

À quelques pas de là, Gretchen se pencha vers son père : — Quel ennuyeux compagnon de voyage nous allons avoir, mon Dieu !

— On n’est pas toujours à même de choisir ses compagnons, dit le vieux paysan. Il y a des gens dont les paroles douces et choisies ressemblent à une pluie d’été qui tombe sur une terre altérée, mais ils sont rares. Il y en a d’autres au contraire dont les discours, pareils à la grêle, s’abattent à l’improviste sur nos pensées les plus intimes et nous blessent sans le vouloir.

En parlant ainsi, ils marchaient toujours. Cédant à ce mouvement involontaire qui fait que l’on hâte le pas en approchant de chez soi, Walther marchait à grandes enjambées. Gretchen avait peine à le suivre, elle commençait à rester en arrière. Au moment où elle abordait le sentier conduisant droit à sa demeure, la jeune fille jeta un regard sur une prairie couverte de longues herbes déjà mûres pour la faux. Appuyé le long d’un arbre se tenait le petit Max, le fils du maître d’école. Avec ses longs cheveux blonds rejetés sur le cou, ses yeux bleus et sa petite redingote verte serrée à la taille, il avait l’air d’un jeune rêveur plus avide de s’élever dans le monde des idées que préoccupé des affaires de la vie. Il s’inclina devant Gretchen, qui passa sans oser le regarder. Bien rarement Max lui avait adressé la parole depuis les jours de la première enfance ; ils se connaissaient très intimement, quoique sans se voir, connue on se connaît à la campagne, où tout le monde est à peu près de la même condition. Max arrivait tout récemment de Munich, où il avait achevé ses études à l’université. Son séjour dans la capitale lui donnait un certain prestige aux yeux de tous les habitants de la contrée. Au village, Gretchen lui eût peut-être rendu son salut ; mais en ce lieu solitaire la présence de Max lui causait une surprise qui la troublait. Elle se mit donc à marcher plus vite pour rejoindre son père,